C’est avec beaucoup d’émotion que je me suis installé dans la salle du 11 mars au Seimas (Parlement lituanien).
Comment oublier cette journée du 11 mars 1991 où, jeune député français, je pénétrais au prix d’un incroyable parcours dans cette enceinte démocratique protégée par des centaines de milliers de citoyens depuis un an, depuis le 11 mars 1990, date de la proclamation unilatérale par le Président Vytautas Landsbergis de l’indépendance de la Lituanie?
On se souvient que les Soviétiques ne l’entendaient pas ainsi. En janvier 1991, de graves affrontements, avec interventions de chars russes, avaient fait encore 14 morts.
Mais la ferveur populaire, l’incroyable énergie et la fabuleuse espérance de ce petit peuple qui avait tant souffert au cours de son histoire, soutenu par le monde entier, faisaient fléchir Moscou. La Lituanie devenait vraiment libre !
En 1992, François Mitterrand devenait le 1er chef d’État étranger à venir saluer la Lituanie indépendante. En 1993, c’était au tour de Jean-Paul II de se rendre dans ce pays de tradition catholique.
La Lituanie entrait dans l’Union Européenne (qu’elle présidera au cours du 2eme semestre 2013) et ralliait l’OTAN.
La ville de Grenoble se jumelait avec celle de Kaunas, 2ème ville de Lituanie, capitale du pays dans l’entre-deux guerres.
Et je devenais Président du Groupe d’amitié France-Lituanie à l’Assemblée Nationale.
Des liens très forts se sont donc noués, au cours de ces 23 années passées, avec ce pays de 3 millions d’habitants.
Les ambassadeurs de France à Vilnius et de Lituanie à Paris, les maires de Kaunas, les responsables et animateurs de la coopération décentralisée entre Grenoble et Kaunas, nombre de responsables politiques lituaniens au plus haut niveau, sont devenus des amis.
Comme l’avait déclaré le Président Chirac à son homologue lituanien Adamkus, la Lituanie est bien ma seconde patrie.
C’est une belle histoire que je dois, si j’ose dire, à Marie qui a hérité de sang lituanien de ses ascendants maternels. Une famille qui a été marquée par les plus grandes épreuves du 20eme siècle. Une famille qui a souffert des pogroms, si bien décrits par Romain Gary en souvenir duquel mon petit-fils new-yorkais s’appelle Roman. Fuyant la Lituanie, certains (les plus nombreux) s’en vont aux États-Unis, d’autres au Royaume Uni, en France, en Allemagne et en Afrique du Sud.
Ceux qui sont restés en Lituanie y ont finalement perdu la vie: Shoah par balle, extermination à Auschwitz et déportation au goulag.
Les plus grands malheurs qui ont secoué l’Europe se sont abattus sur ce petit pays le jour où, sur le sol de ce qui deviendra Kaliningrad, Von Ribbentrop et Molotov, ministres des affaires étrangères du 3ème Reich et de l’URSS scellent le sort des États baltes.
A Ukmergé, berceau de ma belle famille, Marie a perdu toute trace familiale, comme j’avais pu le découvrir ce 11 mars 1991 au soir. Il faisait nuit, il faisait froid, il neigeait, là-bas au bout de l’Europe. Sur la pierre tombale, envahie par les herbes, dans ce qu’on appelait le cimetière juif et qui n’était qu’un terrain vague, je déposais une gerbe en pensant à toutes ces tragédies poussées à leur paroxysme. Une civilisation, la civilisation ashkénaze, pourtant si vivante dans la Jérusalem du Nord, avait disparu. J’étais seul. Je pensais à Marie. Je pleurais.