La semaine dernière, la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a auditionné M. Pascal LAMY, Directeur général de l’OMC. A cette occasion, je l’ai interpellé sur deux thèmes :
– le fait que la forte progression du commerce et des échanges à l’échelle internationale ne se traduise pas en France et dans l’Union européenne par une baisse du chômage,
– la gouvernance internationale en matière de régulation sociale et écologique.
Sur le premier point, le Directeur général de l’OMC a indiqué que « le moteur de la mondialisation économique, laquelle progresse chaque jour, est la technologie. Ce qui a un effet majeur sur le niveau de l’emploi, ce n’est pas l’ouverture des échanges, qui, si elle supprime des emplois, en crée d’autres, conformément aux théories de Ricardo et de Schumpeter. Les pays qui savent transférer les emplois, de secteurs ou de qualifications vers d’autres, réussissent parfaitement dans l’échange international. En la matière, c’est la qualité des politiques nationales de formation et d’innovation qui est discriminante. Le problème de compétitivité de la France et de l’Union européenne, qui est celui de l’emploi – puisqu’on ne crée d’emplois que si l’on est compétitif –, tient à la gestion de la frontière technologique. L’Europe est au cœur d’un triangle des Bermudes. C’est le seul continent dont la population va diminuer dans les décennies qui viennent. C’est aussi la partie du monde où les systèmes sociaux sont les plus développés et les plus onéreux. C’est, enfin, l’endroit où le potentiel de croissance est le plus faible. Si les Européens continuent à résister pour des raisons culturelles et politiques à l’immigration, qui est la solution, et s’ils ne procèdent pas aux réformes de structure susceptibles d’augmenter de 1,5 % à 3 % leur potentiel de croissance, ils ne pourront plus payer leurs systèmes sociaux. Les gouvernements européens ont le choix entre convaincre l’opinion publique que l’immigration est une bonne chose, entreprendre des réformes de structure toujours pénibles, ou rogner dans les systèmes de protection sociale : politiquement, la situation est à l’évidence très inconfortable ! C’est là qu’intervient la dimension européenne : les États européens ne s’en sortiront que s’ils parviennent à mener ensemble les réformes qui s’imposent y compris en exploitant le potentiel considérable d’approfondissement du marché intérieur. Mais je le répète : le problème de l’emploi relève pour l’essentiel de la gestion des qualifications et de l’investissement dans celles-ci. »
En ce qui concerne ma deuxième interrogation, Pascal LAMY a rappelé que « la prise en compte des critères sociaux et écologiques s’inscrit dans l’architecture du système international. Dans sa mission d’ouverture des échanges, l’OMC reconnaît pleinement les standards internationaux et les disciplines en matière environnementale ou sociale. Ainsi, sur les 250 accords environnementaux existants, certains sont purement commerciaux, comme celui sur le commerce des espèces protégées – ce qui ne nous pose aucun problème. Reste que ces standards internationaux n’existent pas toujours et que les disciplines sont parfois difficiles à construire, comme on l’a vu au sommet de Copenhague, lequel a d’ailleurs permis de faire un pas en avant même s’il a été présenté en Europe comme un échec. Dès qu’il existera une discipline internationale sérieuse en matière d’émissions de gaz carbonique, à laquelle souscriront les États souverains membres de l’OMC, je suis persuadé que l’articulation avec les disciplines du commerce multilatéral s’opérera. En matière sociale, les pays en développement ont toujours considéré qu’il serait trop dangereux politiquement pour eux d’établir un pont explicite entre les standards de base de l’OIT et les règles de l’OMC. Néanmoins les États qui appartiennent aux deux organisations se sont engagés à respecter les standards de l’OIT. C’est actuellement à cette dernière, et non à l’OMC, qu’il incombe de s’en assurer. Elle possède d’ailleurs ses propres mécanismes de mise en œuvre ; mais contrairement à l’OMC, elle ne dispose pas d’une structure de règlement des différends, ses membres n’étant jamais parvenus à un accord à ce sujet : il faut croire que, à leurs yeux, le bon fonctionnement du système commercial international est plus essentiel au capitalisme de marché que le contrôle du respect des normes sociales internationales. »