Après avoir échappé à l’écotaxe poids lourds, les transporteurs routiers risquent d’être mis à contribution pour financer le tunnel sous les Alpes qui doit permettre le passage d’une nouvelle ligne de fret ferroviaire reliant Lyon à Turin. La mise en place d’une « vignette » pour les poids lourds circulant sur les axes autoroutiers des Alpes pourrait être la piste principale envisagée pour financer le projet par le député de l’Isère (PS) Michel Destot et le sénateur de Savoie (UMP) Michel Bouvard, missionnés par le premier ministre, le 30 décembre 2014, pour examiner « l’ensemble des pistes de financement de nature à limiter la charge pesant sur les finances publiques ».
M. Destot a indiqué au Monde, à l’issue d’un rendez-vous avec le secrétaire d’Etat chargé des transports, Alain Vidalies, lundi 16 février, que le système de « l’eurovignette », en place dans d’autres pays, était « une solution viable ». Le dispositif consisterait en un surpéage qui pourrait atteindre 25 % pour les poids lourds empruntant des autoroutes de montagne. Les deux parlementaires ont six mois pour rendre leurs conclusions.
« Pollueur payeur »
La directive européenne « eurovignette » prévoit la possibilité pour les Etats membres d’« intégrer, dans le prix des péages perçus sur les poids lourds, un montant correspondant au coût de la pollution atmosphérique et sonore due au trafic et au coût de la congestion frappant les autres véhicules ». Les sommes perçues doivent alors être affectées « à des projets liés au développement durable des transports ». Les routes dans les régions montagneuses sont particulièrement ciblées. La zone montagneuse pourrait en l’occurrence être étendue jusqu’au pourtour méditerranéen et la région niçoise, fortement touchée par la circulation des poids lourds. La création de cette eurovignette dans les Alpes signifierait une mise en place régionale du principe « pollueur payeur », à la base du dispositif de l’écotaxe abandonné par le gouvernement. Mais, dans un contexte de fortes tensions sociales dans le secteur du transport routier de marchandises et de bras de fer tendu avec les sociétés d’autoroute, cette solution risque d’aviver les passions.
Gageure en temps de disette budgétaire
La liaison Lyon-Turin devrait être réaffirmée comme une priorité lors du sommet franco-italien qui réunira, à Paris le 24 février, les deux chefs d’Etat, François Hollande et Sergio Mattarella. Deux jours plus tard, le 26, les deux gouvernements déposeront conjointement un dossier auprès de la Commission européenne, afin que le Lyon-Turin soit reconnu comme « grand projet européen », dans le cadre de l’appel à projets, lancé le 11 septembre 2014, lié au Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE).
Quelque 26 milliards d’euros doivent être affectés aux projets de transports, pour la période 2014-2020. La Commission a déjà indiqué que le tunnel de base, international, était « éligible d’un cofinancement européen à hauteur de 40 % ». Soit près de 3,5 milliards d’euros sur les 8,5 milliards d’euros (en valeur 2010), estimés pour les 57 kilomètres de la section transfrontalière entre Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie) et la région de Suse en Italie.
Le reste de la somme est réparti entre l’Italie, 35 % (2,9 milliards), et la France, 25 %, qui devra ainsi débourser 2,1 milliards d’euros, une gageure en temps de disette budgétaire. D’autant que, de part et d’autre du tunnel, chacun des deux pays devra investir de fortes sommes pour assurer les infrastructures d’accès et de liaison locale. Dans un rapport plutôt critique, en novembre 2012, la Cour des comptes notait que « l’estimation du coût global est passée, en euros courants, de 12 milliards d’euros en 2002 à 26,1 milliards, selon les dernières données communiquées par la direction générale du Trésor ».
Priorité européenne ?
L’Europe retiendra-t-elle le tunnel franco-italien dans sa liste de chantiers à financer, alors que les projets sont légion – la France présentera à Bruxelles d’autres dossiers comme le canal Seine-Nord Europe, évalué à 4 milliards d’euros environ, et l’Italie, le tunnel du Brenner la reliant à l’Autriche ? Le 5 novembre 2014, le coordonnateur européen, Laurens Jans Brinkhorst, affirmait que ce projet figurait « parmi les projets d’infrastructure les plus importants ». Certaines voix, écologistes pour la plupart, estiment, elles, que le coût « pharaonique » du Lyon-Turin empêchera à lui seul le financement d’autres projets européens.
« Il est impensable que ce projet de report modal [remplacer un mode de transport saturé par un autre pour décongestionner le premier], avec du fret ferroviaire et du transport de voitures, qui permettra aussi de gros investissements, 3 500 emplois, ne soit pas l’une des priorités européennes », assure le député Michel Destot.
Une chose est sûre : si l’Europe ne finance pas, le projet ne se fera pas. « Il est peu probable que l’Europe dise “jamais”, mais il peut y avoir une révision à la baisse, avec un financement à 20 % seulement ; ou qu’elle renvoie le projet à plus tard », estime Hubert du Mesnil, président de Lyon-Turin Ferroviaire (LTF), qui préfère mettre en avant la dimension environnementale du projet, avec « la réduction de près de 40 % de la part du transport routier dans les Alpes ».
Les opposants, eux, continuent de batailler. En décembre 2014, saisi par les députées européennes d’Europe Ecologie-Les Verts Michèle Rivasi et Karima Delli, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a « ouvert une enquête concernant le projet ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin ». Une petite victoire pour les opposants, probablement insuffisante face à la volonté des deux Etats de percer le massif d’Ambin.
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