J’ai relu avec un intérêt soutenu l’excellent ouvrage de Lionel Jospin sur le « mal napoléonien », paru aux éditions du Seuil en mars 2014.
Je dois avouer que je n’avais pas perçu, à la première lecture, avec la même acuité, la dimension percutante et très politique des messages exprimés, ne ressentant peut-être pas suffisamment alors l’empreinte du bonapartisme dans notre société contemporaine.
« Les 2 empires napoléoniens ont des points communs où se montre la trame du bonapartisme. La nature dictatoriale du pouvoir, la manipulation de l’opinion par la propagande, la centralisation de l’Etat, la recherche de la gloire extérieure pour susciter la fierté des Français » sont quelques-uns des traits distinctifs des deux régimes relevés par Lionel Jospin.
Pour Napoléon III, « le bonapartisme se place au-dessus des factions (on dira plus tard les partis), il transcende le clivage gauche-droite…Épris de gloire mais attentif au développement économique, le bonapartisme prétend réaliser une sorte de fusion nationale par l’union d’un peuple et d’un chef providentiel. »
Les deux régimes se terminent sur des désastres, dans le sang des conflits armés et sur un double échec: celui des promesses de grandeur et celui des prétentions socialisantes.
Pourtant, le bonapartisme survivra en France.
Le boulangisme, expérience certes éphémère, se veut aussi un bonapartisme de la « revanche » avec « le mythe du sauveur, le culte du chef, l’antiparlementarisme, l’aspiration à un pouvoir fort, le dépassement du clivage gauche-droite… ».
Plus proche de nous, « le pétainisme, à ses débuts, peut se réclamer d’un des traits des bonapartismes commençants: la faculté de transcender les clivages, d’effacer les factions et d’obtenir dans l’opinion un consensus. Des hommes venus de la gauche comme de la droite se sont ralliés au régime de la Révolution nationale. » On connaît l’issue…
Pour Lionel Jospin, le gaullisme de la Résistance n’est pas un bonapartisme, malgré certaines interprétations ou craintes, du fait de la personnalité altière du Général.
C’est sous son autorité, que se crée autour de Jean Moulin, le Conseil national de la Résistance où seront représentés les mouvements, les syndicats et les partis engagés en France dans la Résistance, qui adopteront un Programme d’action ambitieux et appliqué à la Libération.
Et de retour au pouvoir en 1958, son intention n’est pas, « à 67 ans, de commencer une carrière de dictateur » selon sa célèbre formule.
L’histoire de la France et du monde a bien changé.
A la différence du bonapartisme, qui est une spécificité française, le phénomène populiste touche toute l’Europe et même l’Amérique. Il se pare de toutes les sensibilités, extrême-droite, extrême-gauche et extrême-centre.
» En matière de régimes et d’idéologies politiques, l’Europe et particulièrement la France disposent d’une riche et dramatique expérience historique. Pas plus que le bonapartisme hier, le populisme, ce bonapartisme sans Bonaparte, n’offre aujourd’hui de solution. L’un et l’autre reposent sur la mystification.
On ne peut être, en même temps, républicain et bonapartiste.
À la multitude des individus ballottés par les marchés et les médias de masse, il faut opposer un peuple de citoyens conscients, exerçant avec civisme leurs droits et leurs devoirs. »
Je ne peux que recommander la lecture toujours d’actualité de ce livre remarquable sur le mal napoléonien, au moment où certains ne dédaignent pas de se référer au bonapartisme de façon flatteuse ou implicite, s’inscrivant dans une bien étrange légende dorée.
Un dernier mot (manuscrit) de l’auteur lui-même à mon intention sous forme de dédicace: « Pour Michel Destot, qui préfère les résistants aux despotes, même éclairés. Avec l’amitié de Lionel Jospin. »