Pour aujourd’hui, demain et après demain, je fais mienne cette pensée de Pablo Neruda: « Il meurt lentement celui qui ne voyage pas, qui ne lit pas, qui n’écoute pas de la musique. Il meurt lentement celui qui devient esclave de l’habitude, qui ne se risque à changer la couleur de ses vêtements ou qui ne parle jamais à un inconnu. Il meurt lentement celui qui évite la passion et son tourbillon d’émotions, celles qui redonnent la lumière dans les yeux et réparent les cœurs blessés. » Traduction en pathos actuel: oui à la distanciation physique, non à la distanciation sociale!Nous sommes bien loin de cerner ce que sera la durée et les contraintes du déconfinement et comment se passera la reprise économique avec son cortège de drames en tous genres.
Mais rien ne nous interdit d’y réfléchir.
Je vous laisse découvrir la chronique sur « le jour d’après » du journal de crise de Pierre-Yves Cossé.
LE JOUR D’APRES Septembre 2020. Le C-19 n’a pas disparu mais est sous contrôle. La surveillance s’estterritorialisée. Dans quelques villes, les grandes manifestations collectives sont toujours interdites et partout les gestes barrières recommandés.
Le moment est venu pour le Président de donner un contenu à sa déclaration ambitieuse, voire imprudente : « Le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant ». Il doit se réinventer dans un contexte difficile et incertain. Les Français sont peureux, ils continuent de craindre pour leur santé, leur emploi ou leurs revenus. Près de la moitié s’est appauvrie et doit limiter sa consommation. Les autres toujours inquiets préfèrent thésauriser. Presque tous sont amers et estiment que l’on aurait pu faire moins mal, en comparant avec certains pays voisins qui s’ensont mieux tirés. Ils sont plus défiants que jamais à l’égard des politiques et des experts. La France est appauvrie et reste fragmentée.
L’Inventaire
Depuis quelques semaines, Emmanuel a commandé un Inventaire de La Situation de la France à quelques personnalités. Sont présentées les politiques économiques et financières possibles. La diversité de la situation des différents secteurs et la disparité des conditions individuelles conduisent à déterminer les priorités. A côté de ceux dont les revenus ont diminué, voire disparu, 17 millions de retraités et cinq millions de fonctionnaires ont conservé leur pouvoir d’achat et augmenté leur épargne (plus de 6 milliards) faute de pouvoir consommer. Si les bilans de nombreuses entreprises, dans l’industrie et surtout dans les services, ont été gravement déséquilibrés, dans plusieurs branches, télécommunications, agro-alimentaire, voire une partie de l’agriculture, les structures financières ne sont pas dégradées. Une injection permanente de fonds publics pour toutes les parties est exclue au profit d’une approche sélective. Les coûts du C- 19 pour les principaux agents économiques et l’État sont chiffrés, afin de prendre la mesure du chemin à parcourir pour revenir à des déséquilibres supportables.
Une fois cet éclairage largement diffusé auprès des Français, un programme d’action est rapidement présenté. Le Président n’a plus de programme, celui du candidat de 1997 est périmé, et les réformes en cours ou annoncées pour la seconde partie du quinquennat ne sont ni opportunes, ni prioritaires. En fin de mandat, le Président ne dispose plus du temps nécessaire pour définir une stratégie de moyen terme combinant économie et écologie, justice sociale et transformations de la société, qui impliquerait consultations et débats. Il lui faut un Programme de 18 mois, dense et aussi court que possible, « Programme de relance » « Programme de redressement » « Programme de Reconstruction » selon l’avis des communicants. Un des critères est la faisabilité dans un délai court.
Un Programme pour la fin du quinquennat
Le Programme contient cinq chapitres :
- Le chapitre Un, intitulé « Renouveau Sanitaire et Social » a deux volets. Le premier comporte un plan de préparation et de prévention des maladies infectieuses incluant la coopération internationale et une dimension européenne, une revalorisation des professions médicales en commençant par celles au bas de l’échelle, un plan en faveur des personnes âgées et dépendantes (moins d’EPHAD et plus de logements adaptés), une meilleure coordination entre la médecine de ville et les hôpitaux, une clarification des responsabilités sanitaires au niveau national, régional, départemental et local entre les différents acteurs et, si c’est possible, la nouvelle tarification de l’hôpital. Rassurer, corriger les injustices les plus criantes, rationaliser.
Le second volet rassemble un ensemble de mesures en faveur des Français aux revenus réduits ou disparus suite à la crise ou qui restent privés d’emplois : poursuite selon de nouvelles modalités du chômage partiel, lutte contre la grande pauvreté, relèvement de minimas sociaux, voire expérimentation pour un an du « revenu universel, ou revenu minimal », encouragements à des expérimentations du type « zéro chômeur » et amélioration de l’accompagnement pour les contrats aidés.
- Le second chapitre « Relance » traite d’aspects variés, avec un souci de cohérence économique et sociale. L’aide à la reconstitution des fonds propres ou quasi fonds-propres des entreprises combinerait les interventions, à long et très long terme, des banques d’investissement (BPI et CDC) et des banques commerciales, avec une mutualisation du risque de crédit. Il importe de répartir les risques de manière à maximiser les investissements. La liste des nationalisations provisoires, partielles ou totales, est présentée, ainsi que les contreparties demandées (environnement, représentation accrue des salariés au conseil d’administration) Des aides nouvelles à la création (start-up) ou à la reconversion de entreprises compensent partiellement des faillites inévitables, qu’on ne saurait interdire. Des plans pour les secteurs les plus atteints ou les plus menacés, PME, tourisme, aéronautique, chantiers navals sont explicités.
Le problème de la productivité n’est pas esquivé. Les normes de prudence ont pour effet de compliquer le fonctionnement des entreprises et de ralentir la productivité, dans certains cas de façon durable, ce qui entrainera des hausses de prix. Simultanément, la relance d’activitéde pointe et surtout la relocalisation d’activités industrielles dans les secteurs stratégiques (pour autant qu’on puisse les définir) impliquent des bonds de productivité, ce qui passe par un recours accru à la robotique et à l’intelligence artificielle Cette politique de relocalisation ne sera efficace, dans beaucoup de cas, qu’avec une dimension européenne. Une relance à l’identique est exclue, ce que la crise nous a appris comme les évolutions survenues dans le monde sont pris en compte.
- Le troisième chapitre « Écologie et environnement » aurait pu être fusionné avec le chapitre « Relance » dans la mesure où une place accrue est donnée à la « croissance verte ». Mais avant de proposer une amplification de la politique annoncée à l’échelle nationale et européenne (Green New deal), il est urgent de conjurer le risque de retour en arrière. Déjà les lobbys s’agitent, notamment dans le plastique et l’automobile, pour différer l’application de normes, voire pour les annuler. Le président du MEDEF a adressé une lettre au chef de l’État sur ce thème. Les Français, obnubilés par des préoccupations immédiates, pouvoir d’achat, emploi, retour du virus, risquent de ne plus s’inquiéter, un temps, de la hausse de la température et de la réduction de la biodiversité. La baisse du prix du pétrole, probablement passagère, incite à la facilité, qui ne peut être compensée que par un fort volontarisme. Le rétablissement de la taxe carbone, dont le produit servirait exclusivement à financer des actions nouvelles au profit des plus vulnérables, est proposé.
La « relance vert » s’inscrit dans la continuité du Plan Climat, dont la mise en œuvre est accélérée. Des priorités sont définies en tenant compte des capacités inemployées dans le secteur productif et du taux de retour, à l’intérieur d’une enveloppe financière. Citons parmi les programmes possibles la rénovation globale des bâtiments, les transports collectifs (fret ferroviaire), l’économie circulaire (déchets), la filière hydrogène… Cette volonté est illustrée par un soutien explicite au Green New Deal européen, par des financements supplémentaires dans le cadre du Plan Climat visant la neutralité carbone en 2050 (économies d’énergie, rénovation thermique des logements, transports collectifs, économie circulaire…) Une aide nouvelle aux « circuits courts » en Agriculture est mise en place. Des critères écologiques ambitieux sont fixés aux entreprises particulièrement aidées par l’État.
- Le quatrième chapitre « Démocratie » donne un nouveau souffle aux orientations timides esquissées par le Président suite au « Grand Débat » : élargissement des possibilités de référendum à plusieurs niveaux, place donnée à des assemblées tirées au sort complétant les institutions de la démocratie représentative, priorité donnée à l’adoption de la loi 3D (Décentralisation, Différenciation, Déconcentration). Un exemple immédiat est donné par la mise en application du maximum des recommandations du groupe des trente tirés au sort sur la réduction de la consommation de CO2. Un second groupe est créé dans le même esprit en vue de l’amélioration de la condition des personnes âgées ou de celle des jeunes, la catégorie la plus atteinte par les conséquences économiques du C-19.
- Le cinquième chapitre porte sur le « Financement ». C’est le plus difficile à rédiger et le plus explosif. Les contraintes sont rappelées et une voie de sortie est esquissée, à condition de faire preuve d’ingéniosité financière. Le déluge de fonds publics ne peut se poursuivre, ce qui sera difficilement compris, après la facilité avec laquelle de dizaines de milliards ont été distribués. La dette de l’État français devra et pourra être remboursé, avec un amortissement sur des durées exceptionnelles, de l’ordre du siècle. Le Royaume-Uni n’a-t-il pas fini de rembourser la dette contractée pour financer la guerre contre Napoléon… en 1914 ? Sur de telles périodes, de longs différés d’amortissement sont possibles, voire en fin de parcours des annulations (mais cela ne peut être écrit). Une distinction est opérée entre le coût stricto sensu de C-19 qui est pris en charge à l’échelleeuropéenne par des financements mutualisés et des plans de relance incluant des mesures nouvelles, qui ne peuvent être couvertes qu’à l’échelle nationale. Dans cette période, le pouvoir des banques centrales est considérablement accru ; à elles seules, elles peuvent dégager les ressources nécessaires à la relance des économies nationales – beaucoup plus que les États nationaux eux-mêmes. Cette création de liquidités, qui alimente en abondance les marchés n’aurait pas d’effets inflationnistes à court terme, les crédits accordés par les banques augmentant beaucoup plus lentement.
En vue de ce retour nécessaire et progressif à l’équilibre, très étalé dans le temps, un effort exceptionnel est demandé aux Français épargnés par la crise qui en ont les moyens. Le débat sur une refonte du système fiscal est renvoyé à l’élection présidentielle et les décisions au prochain quinquennat. Un prélèvement non renouvelable, assis sur la fortune des particuliers, est créé. Il est progressif et élevé pour les plus fortunés. Une part peut être réglée par la souscription à des emprunts d’État à faible taux d’intérêt, remboursables sur cinquante ans, après un long différé d’amortissement. Ce « sacrifice » est complété par une hausse pour cinq ans du barème de l’impôt sur les successions les plus élevées.
De telles ressources paraitront marginales par rapport au « trou » des budgets publics. Leur objectif premier est d’ordre politique. À un moment où le besoin de réduire les inégalités creusées par la crise est fortement ressenti, les relativement privilégiés participent au redressement. Ne devraient pas plus être marginales les « économies » budgétaires, non pas le bla-bla habituel sur le train de l’État ou des « queues de cerises » mais quelques abandons spectaculaires qui font mal, à la hauteur de la crise. On peut penser à l’abandon des Jeux Olympiques de Paris, à moins qu’ils ne puissent être différés dans le temps ou fortement allégés. Voire à l’abandon progressif d’une des composantes de la Force de Frappe nucléaire, ce qui porterait atteinte à notre prestige mais pas à notre sécurité. Dans notre République, c’est par excellence un choix présidentiel.
Le Plan est complété par quelques chiffres-objectifs, principalement dans l’ordre social, correspondant aux priorités du Plan. Des indications sont données sur les conditions juridiques de sa mise en œuvre.
Le Préalable de la Confiance
Un tel Plan est vivement critiqué. À gauche, il ne serait pas assez anticapitaliste et redistributif, alors qu’un État-Providence est jugé plus nécessaire que jamais. À droite, le volet « financement » serait rejeté en bloc, en particulier les prélèvements sur les « riches » écartés par tous ceux, de droite comme de gauche, qui ne pensent qu’à la succession d’EmmanuelMacron, sans oublier les groupes de pression déçus par des aides de l’État jugées insuffisantes. Les Sachants diront que seule une vision à long terme peut offrir une sortie. Il est vrai que parallèlement un exercice de prospective et de définition de stratégies peut être confié à un organisme comme Expertise-France.
Ce plan se situe dans le monde des possibles. Il met l’accent à la fois sur les besoins de sécurité de toute nature, santé, revenu, emploi, les plus urgents pour les Français et sur le renforcement de l’appareil productif. Il signifie un retour de l’État. Il réussira s’il rétablit un minimum de confiance en l’avenir. Sans cette confiance, les ménages continueront de thésauriser, freinant la reprise de la consommation et les entreprises différeront leurs investissements, concentrés exclusivement sur leurs trésoreries.
Le Président dispose de moyens limités pour instaurer la confiance. Il peut nommer une personnalité nouvelle, à la fois experte et politiquement expérimentée, comme ministre du Plan placé auprès du Premier ministre. Faut-il encore qu’il existe une personnalité consentante et que Bercy ne paralyse pas en permanence son action. Un Haut-Commissaire au Plan pourrait être nommé mais ce serait sans effet sur l’opinion. Ces dispositions ne sont pas à la hauteur du problème.
Changer le Gouvernement et les Hommes ?
C’est un choc politique qui est nécessaire. Certaines voies sont des impasses. La dissolution de l’Assemblée nationale renforcerait Mme Le Pen et M. Mélenchon, alors que le parti du Président s’éparpillerait, divisions, dissidences, renoncements. La majorité gouvernementale en sortirait affaiblie. Par un référendum, le Plan pourrait être soumis à l’approbation des Français. Outre la complexité de la procédure et les délais incompatibles avec la nécessité d’aller vite, les électeurs se prononceraient non sur les réformes mais sur la gestion du virus par le Président et le gouvernement. Le Non aurait de bonnes chances de l’emporter.
Reste le changement de gouvernement et des Hommes. Un « gouvernement de Salut Public » ou « d’urgence nationale » proposé par J-P Chevènement répond à la situation exceptionnelle et dramatique où se trouve le pays. Sa mise en place supposerait le dépassement des clivages traditionnels et un changement improbable des mœurs politiques. Les opposants au régime, situés aux extrêmes, de droite et de gauche, déclineraient, de même probablement que les opposants républicains. L’annonce – fort improbable – par le Président qu’il ne se représenterait pas en 2022 pourrait dégeler les opposants qui ne pensent qu’à succéder à Emmanuel Macaroni. Si des chefs de partis à l’Assemblée, Olivier Faure ou Christian Jacob, se ralliaient, leur présence aurait un effet limité sur l’opinion. Le recours à des personnalités extérieures au Parlement et à des « Anciens Combattants » est tout aussi délicat. J-P Chevènement, doué de la faculté exceptionnelle de ressusciter, est hors d’âge. La participation des deux anciens Présidents de la République valides, voire de quelques anciens Premiers Ministres de François Hollande et de Jacques Chirac (MM JM Ayrault, M Valls, B Cazeneuve, JP Raffarin, Dominique de Villepin) ferait « Union Nationale ». Nicolas Sarkozy peut accepter, même s’il lui faut renoncer à ses jetons de présence et autres rémunérations venant d’entreprises privées. C’est plus douteux pour François Hollande. Un tel triumvirat est-il viable ? Un tel rassemblement est-il constructif ? Réunifieraient-ils les Français ou susciteraient-ils le doute ? On peut craindre les sarcasmes. Beaucoup des personnalités concernées ont quitté définitivement la politique.
Le changement de gouvernement est une formule plus classique. Il est probable, sans être certain, qu’Édouard Philippe sortira épuiser de la gestion ingrate et complexe du déconfinement. Son successeur pourrait être trouvé dans l’actuel gouvernement, même si aucun candidat ne s’impose. Jean-Yves Le Drian, qui aurait pu être le premier PM du nouveau président, a beaucoup servi et ne symbolise pas un renouveau. Blanquer est pratiquement irremplaçable à l’Education Nationale, alors que la formation des jeunes, désorganisée par la crise, est une priorité. Bruno Le Maire, confiant en ses talents et auteur d’une demi-douzaine de livres, représente la continuité et se juge prêt, appréciation que d’autres ne partagent pas.
Un nouveau Premier Ministre peut être cherché en dehors du Parlement. Beaucoup de noms, improbables, circulent : Michel Barnier, le négociateur fort occupé du Brexit ; Arnaud Montebourg, un adversaire farouche du Président de la République ; Xavier Bertrand, l’efficace Président de la région Hauts-de-France, qui pourrait avoir des ambitions pour les élections présidentielles ; François Bayrou qui a le grand avantage de ne plus en avoir.
Cette recherche est un peu vaine, le choix étant avant tout celui du Président, qui peut être inattendu. Son premier critère est sa capacité à faire équipe avec son second et la capacité de celui-ci à être immédiatement opérationnel. Quelques entrées accompagneraient ce changement. Faut-il encore trouver les hommes et les femmes. Ce nouveau gouvernement pourrait présenter quelques caractères originaux : peu de membres (mais l’on n’a jamais su faire) ou une « équipe commando » à l’intérieur du gouvernement, consultation plus systématique avec les partenaires sociaux et les élus locaux. Pierre Yves Cossé – 29 avril 2020
————————————–