J’ai participé vendredi dernier à EVE au lancement du Parlement des étudiants de Grenoble, une belle initiative de Loïc Terrenes, qui a effectué il y a un an un stage au sein de mon cabinet et qui aujourd’hui devient président de cette toute nouvelle Assemblée grenobloise. Sa prévenance, son enthousiasme, sa capacité à entreprendre sont récompensées par le bon accueil qu’il a reçu de ses camarades et amis.
Il m’a demandé d’en être le parrain avec Michel Savin, mon collègue sénateur. Il eut été déshonorant de refuser !
Invité à m’exprimer, je me suis permis de dire deux ou trois choses sur l’engagement public et la démocratie, glanées dans mon parcours parlementaire et politique.
En rappelant d’abord que les valeurs et les convictions sur lesquelles se fondent une pensée et une action publiques ne se forgent pas uniquement sur les bancs de Sciences-Po et de l’ENA. Elles sont souvent le résultat de rencontres avec des femmes et des hommes qui vous ont séduit et entraîné dans leur sillage, comme ce fut mon cas avec Michel Rocard.
Comment en effet cacher que ce fut une des plus belles rencontres politiques de ma vie, au point d’avoir contribué à me détourner de mon parcours professionnel d’ingénieur, de chercheur et de chef d’entreprise vers un engagement public, local et national ?
Tout au long de son vaste engagement militant et public (il avait pris sa première carte en novembre 1949, il avait 19 ans, c’était à la SFIO) et dans une fidélité sans faille à sa famille socialiste jusqu’au soir de sa vie, Michel Rocard a inscrit son action politique dans le temps et dans l’espace. Plus et mieux que beaucoup.
Inscrire son engagement dans la durée, c’est lutter contre la dictature de l’immédiateté, souvent entretenue et même amplifiée par les médias, c’est donner du sens, une vision à la politique menée ou voulue en intégrant la complexité des situations dans toutes leurs dimensions économiques, sociales, environnementales, culturelles et citoyennes.
Inscrire son engagement dans l’espace, du local au global, du cadre de vie de proximité au destin planétaire de l’humanité, c’est relier tous les niveaux d’interventions et se donner les moyens de relever les grands défis de l’heure, qui sont tous mondiaux ou au moins internationaux : les flux migratoires, l’organisation régulée de l’économie et de l’environnement, la (re)construction de l’Europe,…
En près de 70 ans, Michel Rocard aura mené d’innombrables combats, de l’Algérie à la Nouvelle Calédonie, de la décentralisation aux pôles, de l’Europe à l’Afrique. Il aura beaucoup agi, du RMI à la CSG, des CPER à l’économie sociale et secondaire…
En près de 70 ans, il a pratiquement tout été : haut fonctionnaire, élu local et national, ministre, premier ministre et ambassadeur, chef de partis.
Il n’a cependant pas été, à regret pour beaucoup, Président de la République. Comme Jean Jaurès ou comme Pierre Mendès France.
Et pourtant, comme ses devanciers, il n’est pas douteux qu’il laissera dans l’Histoire une trace plus profonde que certains présidents. Constat qui me rend circonspect à la vue de ces batailles (d’ego) que se livrent aujourd’hui tous ces candidats à la présidentielle…
Michel Rocard a été un grand parlementaire :député, sénateur et parlementaire européen. Pas un parlementaire bavard, se précipitant à tout moment sur micros et caméras. Un parlementaire qui savait prendre ses responsabilités dans le contrôle de l’exécutif mais qui savait surtout proposer, en se donnant le temps de la réflexion et la chance de la pertinence des solutions.
La démocratie ne peut se résumer à un exercice brouillon et débridé, laissant aux plus habiles ou aux moins scrupuleux la possibilité de peser de façon disproportionnée sur le cours des choses.
Elle doit vivre dans le respect de tous, sur la base d’échanges, de confrontations autour de projets élaborés.
Elle doit vivre poussée par des femmes et des hommes mus par des valeurs et des convictions.
Aujourd’hui, la complexité des problèmes qui secouent le monde, des soucis quotidiens de proximité aux questions planétaires, oblige à une forme exigeante de pensée et d’action des responsables politiques.
L’improvisation même chaleureuse, l’incompétence même explicable, l’engagement éphémère « histoire de voir », ne peuvent être encouragés.
À mes yeux, ce projet de Parlement des Étudiants, est une initiative heureuse, utile et opportune.
Il peut contribuer à former les futurs responsables publiques dont notre pays a tant besoin. Il peut le faire en réhabilitant la démocratie représentative, indépassable si l’on veut donner le meilleur à la marche de la collectivité et éviter les ruptures d’humanité, les retours au chaos ou à la barbarie.