Dans quatre mois aura lieu le renouvellement des conseils municipaux. Un moment important où la population portera une appréciation sur l’action de la municipalité sortante et sur le projet proposé pour le mandat à venir. Maire de Grenoble depuis 18 ans, il me parait utile et démocratique de revenir sur ce parcours municipal qui s’interrompra pour moi en mars prochain, ayant décidé de passer le relais à une équipe renouvelée, conduite par mon 1er adjoint Jérôme Safar. Je reviens donc, par une série de tableaux que je souhaite vivants et personnels, sur une activité qui marquera sans nul doute un moment exceptionnel de ma vie.
Je n’ai pas l’habitude de me livrer sur ce qui est devenu avec le temps une sorte de jardin privé, protégé du regard public.
Mais, aussi, comment cacher que la montagne a été un élément déterminant dans mon parcours ?
Des blocs de Fontainebleau aux expéditions lointaines, que d’aventures le plus souvent partagées avec des proches et qui, plus que d’autres moments de la vie, restent gravées dans la mémoire. Itinéraires, compagnons de cordée, incidents marquants reviennent à l’esprit au simple énoncé de la course.
Émotions, peurs, joies, fatigues, passages éprouvants jalonnent le carnet de courses comme les obstacles le parcours du combattant.
Avec parfois le même sentiment devant l’épreuve: pourquoi un tel engagement alors que la vie pourrait être beaucoup plus douce dans la vallée, avec les siens…?
Et, malgré les moments difficiles, demeure toujours la même envie de repartir à l’assaut d’un nouveau sommet au nom évocateur, à la recherche de nouvelles aventures.
La pratique de la montagne relève d’un mélange subtil de défis à relever, de nouveaux horizons à dépasser, d’aventures solitaires ou collectives à satisfaire, de paysages saisissants à découvrir.
Alternant contemplations, engagements et méditations, la haute montagne demeure un domaine privilégié, où l’isolement et le dépassement de soi obligent à puiser dans ses ressources physiques et mentales.
« Si tu ne sais pas si tu peux te fier à un ami, invite-le en montagne » aimait dire l’auteur-compositeur russe Vladimir Vissotski…
J’ai souvent appliqué ce conseil (plus que de raison ?), y compris dans le choix de mes collaborateurs.
Parisien, j’ai choisi Grenoble pour poursuivre mes études, attiré aussi, bien sûr, comme beaucoup de Grenoblois d’adoption, par ses montagnes, par cet environnement magique qui joue comme un aimant.
Les Alpes resteront mon cadre le plus familier. J’ai toujours aimé passer d’un massif à l’autre, selon l’avancée en saison ou les prévisions météo.
L’Oisans plus sauvage, le Mont Blanc plus majestueux, la Vanoise mieux protégée, le Valais plus généreux en sommets de plus de 4000m, les Dolomites plus lointaines mais plus séduisantes, sont autant de massifs que j’ai parcourus à de nombreuses reprises.
Faute de temps disponible, de moyens aussi, les Pyrénées, les Andes et l’Himalaya ne m’ont pas vu beaucoup.
Devenu maire de Grenoble, je trouvais naturel et même symbolique de rester un alpiniste engagé.Et si cette partie de mon existence restera moins importante, par le temps consacré, en comparaison à mes activités professionnelles ou politiques, elle ne sera pas la part la moins précieuse de ma vie.
D’abord parce qu’elle m’a permis de vivre des moments forts avec mes enfants, tranchant avec le peu de disponibilité que j’avais pu leur réserver durant l’année, bien trop pris malheureusement par mes activités publiques. Ainsi avec Matthieu avec qui j’ai fait nombre de classiques de l’Oisans, de la Meije aux Ecrins. Ainsi avec Vincent de la Vanoise au Cervin. Ainsi avec Marilia dans les Dolomites.
Ainsi avec les 2 garçons dans le massif du Mont Blanc, à l’Aconcagua ou dans le Valais.
Et puis, avec Jean-Louis, mon ami guide de haute montagne, ce fut l’occasion de varier itinéraires et difficultés, rocher et glaciers, en toutes saisons. Grâce à lui, pris par le jeu et l’enjeu, j’ai pu gravir les 2/3 des sommets alpins de plus de 4000m et d’autres moins hauts mais pas moins prestigieux comme l’Eiger ou la Meije. Avec lui, nous sommes allés dans les Andes et en Himalaya.
Me reviennent à l’esprit des ascensions plus marquantes que d’autres, comme celle du Mont Blanc avec Vincent et Matthieu (alors âgé de seulement 13 ans), celle des Grandes Jorasses avec la perte de mon piolet, celle de l’Eiger avec les chutes impressionnantes de pierres et la fin de l’ascension dans la voie Mittellegi en plein brouillard, celle de l’Olan par la brèche Escarra avec un orage impressionnant, celle de la Dibona par les voies 7 d’un coup et les cannelures Stoffer, celle du pilier Bionnassay avec la traversée de l’arête, celle de la Dent d’Herens avec une chute à la descente qui aurait pu être fatale, celle du Cervin avec Catherine Destivelle, Erik Descamp et Vincent. Et puis, bien sûr, l’ascension de l’Aconcagua avec Jean-Louis, Vincent et Matthieu dans des conditions météo et logistiques aléatoires. La traversée de la Meije avec Jean-Louis et Matthieu, celle de Midi-Plan avec Jean-Christophe Lafaille. Et puis le Cho Oyu, ce sommet de plus de 8000m, objet de tant de convoitise et finalement de tant de déception.
Au total, des moments plutôt magiques, où l’on tutoie parfois le drame mais qui forgent une véritable passion de vie.
La littérature de montagne m’aura accompagné dans cette quête des sommets. Les morts d’Antoine de Choudens, de Patrick Berhault, de Jean-Christophe Lafaille, de Jean-Marc Genevois ou de Ludovic Chaleas m’ont bouleversé.
Antoine de Choudens était ingénieur des Arts et Métiers, capitaine au Groupe militaire de haute montagne. Intelligent, élégant, réservé mais passionné de haute montagne. J’avais beaucoup d’affection pour lui. Il est mort en Himalaya. Je l’ai pleuré.
Patrick Berhault, c’était du vif argent. Il forçait l’estime et l’attachement. Il s’était lancé dans la conquête d’un seul trait des 82 sommets de plus de 4000m des Alpes. J’avais prévu de l’accompagner (essayer) dans 2 d’entre eux (Weismies et Lagginhorn).
Trois jours avant, il trouvait la mort au Täschhorn, dans une chute de plusieurs centaines de mètres, disparaissant sous les yeux de son compagnon. Il courait sur l’arête cornichée. Il n’était pas encordé…
Jean-Christophe Lafaille avait été, aussi, conseiller montagne auprès de la Ville de Grenoble. Sensible, très attachant, c’était un mélange de talent et de fragilité. Je l’aimais bien. Sa descente tragique de l’Annapurna, avec la chute mortelle de Pierre Beghin et sa fracture du bras nous avait fascinés.
Sa disparition quelque part au sommet du Makalu fut l’objet de multiples interrogations sur les pièges de l’enchainement médiatique auquel étaient livrés ces alpinistes et himalayistes d’exception.
Je me souviens de mon départ pour le Cho Oyu. Le Dauphiné Libéré avait ressorti une photo de l’inauguration de la maison de la montagne où l’on me voyait avec A de Choudens, P Berhault et JC Lafaille. Marie, inquiète de me voir tenter le 6eme sommet du monde, me faisait remarquer, avec tendresse et intelligence, que, des 4 sur la photo, j’étais le dernier en vie. Cette remarque m’a accompagné tout au long des 5 semaines de l’expédition…
Expédition faite avec Ludovic Chaleas et Jean-Marc Genevois qui devaient eux-aussi trouver la mort en montagne, le premier en Himalaya alors qu’il était en bonne voie de conquérir les 14 sommets de plus de 8000 m, le second dans les Alpes dans une chute en cascade de glace.
Mais la vie reprend toujours le dessus et la montagne aussi.
Maire, j’ai souhaité faire de la montagne une véritable source d’épanouissement pour tous, et d’abord pour les jeunes des quartiers, peu familiers de cet environnement pourtant exceptionnel.
L’opération « Jeunes en montagne » restera pour moi un engagement fort en direction de tous ceux qui découvraient, grâce aux moyens mis par la Ville, un univers qu’ils ne soupçonnaient pas.
Je me souviendrai longtemps de ce jeune garçon de la Villeneuve, arrivé épuisé au sommet des Ecrins, me disant « M. le maire, c’est trop dur ! » et quelques jours plus tard, croisé dans les rues de Grenoble, me confiant, les larmes aux yeux, « c’était le plus beau jour de ma vie ».
Et puis comment oublier ces rencontres avec tous ceux qui m’ont fait rêver un jour et que je voulais honorer comme maire de la capitale des Alpes: mes deux parrains René Desmaison et Robert Paragot, et puis Pierre Mazeaud, et Lucien Berardini, et Paul Keller, et tant d’autres…
Au fil des années, j’ai pu mesurer la chance que nous avions de vivre dans cet écrin majestueux. Je sais qu’il a attiré nombre de nouveaux Grenoblois aux personnalités bien trempées, qui aiment entreprendre, conquérir de nouveaux sommets et sortir par le haut quand la tempête menace.
Tous les passionnés de montagne, quelques soient leurs responsabilités par ailleurs, savent qu’escalader a une valeur ajoutée, celle de ne servir à rien, désobéissant à la loi du marché qui comprend des contreparties à l’investissement, au risque.
Ils deviennent des « conquérants de l’inutile », heureux disciples du grenoblois Lionel Terray.
Désormais, la mission montagne, la maison de la montagne, les Rencontres du cinéma de montagne ont acquis leurs lettres de noblesse.