Je n’ai pas l’habitude de me livrer sur ce qui est devenu avec le temps une sorte de jardin privé, protégé du regard public.
Des blocs de Fontainebleau aux expéditions lointaines, que d’aventures le plus souvent partagées avec des proches et qui, plus que d’autres moments de la vie, restent gravées dans la mémoire. Itinéraires, compagnons de cordée, incidents marquants reviennent à l’esprit au simple énoncé de la course.
Émotions, peurs, joies, fatigues, passages éprouvants jalonnent le carnet de courses comme les obstacles le parcours du combattant.
Avec parfois le même sentiment devant l’épreuve: pourquoi un tel engagement alors que la vie pourrait être beaucoup plus douce dans la vallée, avec les siens…?
Et, malgré les moments difficiles, demeure toujours la même envie de repartir à l’assaut d’un nouveau sommet au nom évocateur, à la recherche de nouvelles aventures.
La pratique de la montagne relève d’un mélange subtil de défis à relever, de nouveaux horizons à dépasser, d’aventures solitaires ou collectives à satisfaire, de paysages saisissants à découvrir.
Alternant contemplations, engagements et méditations, la haute montagne demeure un domaine privilégié, où l’isolement et le dépassement de soi obligent à puiser dans ses ressources physiques et mentales.
Les Alpes resteront pour moi mon cadre le plus familier. J’ai toujours aimé passer d’un massif à l’autre, selon l’avancée en saison ou les prévisions météo.
L’Oisans plus sauvage, le Mont Blanc plus majestueux, la Vanoise mieux protégée, le Valais plus riche en sommets de plus de 4000m, les Dolomites plus lointaines mais plus attirantes, sont autant de massifs que j’ai parcourus à de nombreuses reprises.
Faute de temps disponible, de moyens aussi, les Pyrénées, les Andes et l’Himalaya ne m’ont pas vu beaucoup.
Faire un retour descriptif sur ces ascensions et livrer mes souvenirs ne m’a jamais attiré. Peut-être d’ailleurs parce-que la disponibilité nécessaire pour l’exercice n’a jamais été au rendez-vous. Peut-être aussi pour préserver une sorte de domaine privé et garder pour soi une part de richesse intérieure que l’on ne veut pas diluer.
Et pourtant, il n’est pas douteux qu’arrivant au soir de ma vie, cette partie de mon existence, moins importante par le temps consacré que mes activités professionnelles, politiques ou familiales, ne sera pas pour moi la part la moins précieuse de mon existence.
D’abord parce-qu’elle m’a permis de vivre des moments forts avec mes enfants, tranchant avec le peu de temps que j’avais pu leur consacrer durant l’année, bien trop pris malheureusement par mes activités politiques. Ainsi avec Matthieu avec qui j’ai fait nombre de classiques de l’Oisans, de la Meije aux Ecrins. Ainsi avec Vincent au Cervin. Ainsi avec Marilia dans les Dolomites.
Ainsi avec les 2 garçons dans le massif du Mont Blanc, à l’Aconcagua ou dans le Valais.
Et puis, avec Jean-Louis, mon ami guide de haute montagne, ce fut l’occasion de varier itinéraires et difficultés, rocher et glaciers, en toutes saisons. Grâce à lui, pris par le jeu et l’enjeu, j’ai pu gravir plus de 50 sommets alpins de plus de 4000m et d’autres moins hauts mais pas moins prestigieux comme l’Eiger (par la voie Mittellegi) ou la Meije. Avec lui, nous sommes allés dans les Andes et en Himalaya.
Me reviennent à l’esprit des ascensions plus marquantes que d’autres, comme celle du Mont Blanc avec Vincent et Matthieu (alors âgé de seulement 13 ans), celle des Grandes Jorasses avec la perte de mon piolet, celle de l’Olan par la brèche Escarra avec un orage impressionnant, celle de la Dibona par les voies 7 d’un coup et les cannelures Stoffer, celle du pilier Bionnassay avec la traversée de l’arête, celle de la Dent d’Herens avec une chute à la descente qui aurait pu être fatale, celle du Cervin avec Catherine Destivelle, Erik Descamp et Vincent. Et puis, bien sûr, l’ascension de l’Aconcagua avec Jean-Louis, Vincent et Matthieu dans des conditions météo et logistiques aléatoires. La traversée de la Meije avec Jean-Louis et Matthieu, celle de Midi-Plan avec Jean-Christophe Lafaille. Et puis le Cho Oyu, ce sommet de plus de 8000m, objet de tant de convoitise et finalement de tant de déception.
Au total, des moments plutôt magiques, où l’on tutoie parfois le drame mais qui forgent une véritable passion de vie.
La littérature de montagne m’aura accompagné dans cette quête des sommets. Les morts d’Antoine de Choudens, de Patrick Berhault, de Jean-Christophe Lafaille, de Jean-Marc Genevois ou de Ludovic Chaleas m’ont bouleversé.
Mais la vie reprend toujours le dessus et la montagne aussi.
Bien sûr, je sais que tout cela aura une fin.
Pourtant se limiter à courir les sentiers de Charteuse, de Belledonne ou du Vercors ne m’angoisse pas, si je peux pimenter l’affaire d’un trekking en Himalaya avec quelques amis chers et surtout si je peux refaire un jour une ou deux courses faciles avec mes petits enfants…
Histoire de reculer le moment ultime, histoire de tester une dernière fois mes limites.