Invité du Collectif pour le renouvellement de la social-démocratie, en lieu et place du ministre Benoit Hamon empêché, j’ai ouvert, vendredi soir 29 novembre à Montréal, cet important colloque sur la délibération démocratique et les enjeux socio-économiques, organisé en présence de Bernard Drainville, ministre des Institutions démocratiques et de Participation du Québec.>J’ai d’abord tenu à rappeler la nécessaire modestie qui doit nous guider face au problème du débat public, qui pose la question du rôle et de la place des pouvoirs dans les sociétés humaines et celle du dialogue entre l’émancipation des individus et l’intégration au collectif.
En France, on parle continument de crise, là où il serait plus pertinent (et utile) de parler de transition de société et de remise en cause des représentations des mondes politiques, économiques et médiatiques.
Délitement, manifestations corporatistes, urnes boudées… désespérance qui se traduit par une distance accrue vis-à-vis des institutions, en particulier de l’Europe.
Difficulté de comprendre un monde de plus en plus complexe aux plans économique, social et environnemental.
En une génération, les cartes de la pauvreté et de la mobilité en France, de l’urbanisation dans le monde ont bouleversé les repères établis pendant les 30 glorieuses. Internet imposant la vie en temps réel, les GES se révélant dans leur menace universelle ont fixé de nouvelles règles du jeu, sans déboucher sur de nouvelles délibérations pourtant si nécessaires.
Chacun sait que la confiance nait de l’adhésion à des valeurs et des convictions. Les responsables politiques devraient décrire la réalité des situations, raconter des histoires vraies. Les citoyens devraient s’approprier les projets publics et devenir acteurs.
En France, notre système éducatif développe principalement l’esprit critique et l’individualisme au détriment de l’esprit d’entreprise et du projet collectif. L’échec devient synonyme de déclassement, de dépression, et non d’expérience pour de nouvelles aventures.
Je rappelle souvent que 2 jeunes Brésiliens sur 3 désirent créer une entreprise. En France, c’est un jeune sur 10, et encore plutôt à l’étranger.
La ville de Grenoble est souvent présentée comme un laboratoire scientifique, technologique, social, environnemental et démocratique.
Elle le doit à ses citoyens qui sont pour 8 sur 10 des immigrés venus de tous les coins de la France et des 5 continents, attirés par la montagne où on sait jouer en solo mais aussi en cordée quand c’est nécessaire.
Elle est devenue la 5eme ville la plus innovante du monde, selon le classement du périodique américain Forbes.
Ville innovante qui a essayé au cours de son histoire de bâtir son développement sur la démocratie participative (dans la tradition des GAM) et sur une ouverture au monde et à ses cultures.
Maire depuis 18 ans, j’ai souhaité relancer le processus démocratique, au-delà des Unions de quartier, avec la mise en place de Conseils consultatifs de secteur ou thématiques (résidents étrangers, personnes handicapées, personnes âgées,…). Mais l’avancée la plus intéressante me semble celle qui concerne notre politique d’innovation et d’expérimentation aux plans économique (Pacte PME par exemple), social (parler bambin,…) ou écologique (écoquartier de Bonne,..).
La France s’est constituée à partir d’un Etat fort, qui a évolué au cours de son histoire d’un stade autocratique à un stade constitutionnel, en rationalisant le pouvoir au moyen d’une administration souvent reconnue de grande qualité, jouant dans le registre de l’exécution comme dans celui de l’élaboration. Le politique s’est vite situé dans le prolongement de la rationalité technique.
Est-ce une garantie de vertu démocratique ?
Les exemples sont nombreux dans le monde entier de constitutions qui ont servi d’alibis à la tyrannie: Allemagne et Russie bien sûr avec Hitler et Staline; mais en France même, sous Vichy, avec une administration centrale qui a fourni les moyens d’une oppression organisée.
Aujourd’hui, les techniques de l’opinion (médias et sondages) peuvent contribuer à livrer le public à des idéologies passionnelles, pour ne pas dire populistes.
Quant aux grandes planifications, présentées avantageusement comme relevant de visions à long terme, elles peuvent se révéler d’une puissance considérable et redoutable (pensons à la politique de l’enfant unique en Chine qui a conduit à un pays masculinisé à 55%).
On connait les limites potentielles de la démocratie directe.
Les projets collectifs ne peuvent se réduire à une simple addition de points de vue individuels. La cité d’Athènes hier ou la votation helvétique aujourd’hui sont des exemples qui seraient de peu de secours, appliqués dans des pays continents comme l’Inde ou la Chine.
La démocratie représentative avec l’avènement du suffrage universel et des parlements depuis le 18eme siècle n’ont pu empêché complètement la promotion de dictateurs, ni l’éradication de la corruption, ni la mise à l’écart de la préemption des pouvoirs par les notables.
Au point que le doyen Georges Vedel s’est permis d’affirmer que « la démocratie représentative est insuffisamment démocratique et insuffisamment représentative ».
Alors ? Quelles perspectives ? Comment éviter le dépérissement du politique et de la démocratie?
En adaptant sans cesse réalité constitutionnelle et réalité historique, culturelle et humaine des sociétés modernes.
En renforçant surtout la dynamique des territoires où vivent et agissent les gens.
En France, l’Etat s’est méfié très longtemps des villes, à commencer par sa capitale après la Commune de Paris. Au fond, il aura fallu attendre l’acte 3 de la décentralisation (projet de loi débattu aujourd’hui au parlement) pour reconnaitre le fait urbain, avec ses rôle et place dans notre architecture institutionnelle.
Le XXeme siècle a été l’apogée des Etats-nations. Certes ce siècle a connu l’homme sur la lune, l’avion supersonique et le TGV, la maitrise de l’énergie atomique à des fins civiles et internet. Mais il restera le siècle de 2 effroyables guerres mondiales et de 4 génocides (arménien, juif, khmère et africain des grand lacs).
D’Athènes à Shanghai, en passant par Rome, Paris, Londres, New York, Tokyo et tant d’autres grandes cités, les villes, qui ne se font pas la guerre, ont porté, au cours de l’histoire, l’essentiel des progrès scientifiques, culturels et démocratiques de l’humanité.
Au point que le grand Président Abdou Diouf s’en va répétant que « le XXIeme siècle sera le siècle des villes ou ne sera pas ».
Lieux privilégiés des synthèses possibles entre efficacité économique, solidarité sociale, protection de l’environnement et participation démocratique, elles doivent êtres reconnues et prises en compte pour mettre en mouvement une citoyenneté mondiale, du local au mondial.
La question n’est plus de défendre la démocratie, mais de l’étendre partout et pour tous en donnant sens à l’exhortation de Jean Cocteau de « passer d’un regard qui dévisage à un regard qui envisage ».