Retrouvant des notes de mon premier voyage en Chine, en 1985, à l’occasion d’un symposium organisé à Pékin par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, il m’a semblé intéressant de les publier sur mon blog. On peut mesurer, avec le recul de 28 années, le chemin parcouru par « l’empire du milieu ». Depuis, j’ai eu l’occasion de retourner plusieurs fois en Chine, notamment pour la coopération entre Grenoble et sa ville sœur de Suzhou, pour les tables rondes entre maires chinois et français et dernièrement avec François Hollande pour la première visite d’État après le 18eme congrès du PCC d’un dirigeant occidental.
J’aurai l’occasion d’y retourner prochainement à deux reprises : pour une rencontre des maires des grandes villes à Yangzhou, puis à l’occasion de la mission de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, mission dont je suis le rapporteur. Autant dire que nous aurons de multiples occasions de revenir sur ce pays-continent qui va profondément marquer notre 21eme siècle.
Samedi 11 mai 1985
C’est la dernière journée de ce voyage. Toutes les images fortes de ce trop court périple se bousculent dans ma tête: l’accueil empreint d’une infinie attention des Chinois, la richesse patrimoniale accumulée au cours de leur très longue histoire, l’échelle démesurée de leurs problèmes démographiques, sociaux et environnementaux. Le tiers de l’humanité se trouve concentré dans cet « empire du milieu ». Faut-il prendre au sérieux cette réflexion des Américains et Russes de l’AIEA que me rapportait Muranaka : demain, il n’y aura plus sur notre planète deux superpuissances mais une seule autour de laquelle tout s’ordonnera : la Chine !
Il faut bien convenir qu’au seul plan énergétique, le défi relevé par les Chinois est gigantesque : quadrupler la production industrielle et agricole entre 1980 et 2000. L’énergie constitue le goulet d’étranglement majeur que rencontre ce continent dans son développement économique à forte croissance. Les ressources en charbon, les deuxièmes du monde, sont principalement concentrées dans le Nord et se heurtent à un énorme problème de distribution sur tout le territoire. L’exploitation des gisements de pétrole stagne et ne permet pas au 6e producteur mondial de miser à terme sur cette seule source d’énergie. Le gaz et l’hydroélectricité ne permettant pas de faire l’appoint, la Chine a donc décidé de se lancer dans un ambitieux programme électronucléaire. Le raisonnement des dirigeants chinois tient en quatre arguments : l’utilisation de l’énergie nucléaire dans les régions industrielles et à forte densité de population permettra de s’abstraire du problème de l’emplacement des mines de charbon ; l’introduction de l’énergie nucléaire réduira la pollution liée aux centrales thermiques ; le coût du KWh nucléaire sera, selon leurs estimations récentes, sensiblement inférieur à celui du KWh thermique ; l’introduction de l’énergie nucléaire, comme l’ont expérimenté ses deux grands voisins – l’Inde et l’URSS- aura un effet bénéfique sur le développement de la technologie et de l’industrie de leur pays. Et puis, on sait bien que le nucléaire chinois est étroitement lié à l’histoire de la Chine populaire. Dès 1949 est créée l’Académie des sciences avec, dans son giron, l’Institut de l’énergie atomique de Pékin. En 1955 est signé l’accord de coopération nucléaire avec l’URSS, programme à orientation militaire. En 1958 est réalisé le premier réacteur expérimental de 10 MW à eau lourde et uranium légèrement enrichi. En 1964, c’est l’explosion de la première bombe A chinoise et 2 ans et demi plus tard de la bombe H. Aujourd’hui, une nouvelle étape s’engage avec le nucléaire civil. En achetant à l’étranger ces premières centrales et en choisissant la filière PWR, la plus répandue dans le monde, la Chine joue la concurrence et la sûreté. Au-delà des premières tranches, elle entend prendre en mains la poursuite de son développement électronucléaire. Il s’agit, de fait, du projet de transfert de technologie le plus important au monde. Comment ne pas chercher à être partie prenante ?
Les deux premières tranches de 900 MWe seront réalisées à Daya Bay, dans la province de Guangdong, dans le cadre d’une société mixte Chine – Hong Kong. La réalisation de la partie nucléaire pourrait revenir à la France (Framatome) et la partie conventionnelle à la Grande Bretagne (GEC). En tant qu’architecte industriel, EDF est consultée pour apporter son assistance à la réalisation et à la mise en œuvre de la centrale, ainsi qu’à la formation du personnel d’exploitation.
On mesure toute l’importance de l’opération. N’est-il pas temps d’apprendre le chinois ?
Dimanche 12 mai 1985
Il pleut sur Paris. Le Boeing d’Air France parti hier soir de Hongkong vient d’atterrir au terme d’un long voyage, via Bangkok et Bombay, qui m’a permis de retrouver l’équipe Jeannenay et le clan Quiles. La France s’est « retrouvée ». Il n’est pas douteux que la Chine va affronter un avenir d’une rare complexité, à cette échelle, dans l’histoire de l’humanité. L’extraordinaire expansion économique qu’on pressent devra compter avec le vieillissement de la population, l’urbanisation galopante du continent et l’incontournable question des droits de l’homme. La confrontation mondiale ne se jouera vraisemblablement pas sur le terrain géo-stratégique militaire mais bien sur celui de l’innovation compétitive aux plans scientifique, technologique, économique, social, environnemental, urbain, culturel et sociétal.
La vie reprend son cours… Jospin ne veut pas entendre parler d’alliance avec le centre. Fabius est moins formel. Et moi, je suis encore un peu en Chine…