Carnet de voyage : la Chine en 1985 (3/5)

Mai 10, 2013 | Actualités, International | 0 commentaires

Retrouvant des notes de mon premier voyage en Chine, en 1985, à l’occasion d’un symposium organisé à Pékin par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, il m’a semblé intéressant de les publier sur mon blog. On peut mesurer, avec le recul de 28 années, le chemin parcouru par « l’empire du milieu ». Depuis, j’ai eu l’occasion de retourner plusieurs fois en Chine, notamment pour la coopération entre Grenoble et sa ville sœur de Suzhou, pour les tables rondes entre maires chinois et français et dernièrement avec François Hollande pour la première visite d’État après le 18eme congrès du PCC d’un dirigeant occidental.

J’aurai l’occasion d’y retourner prochainement à deux reprises : pour une rencontre des maires des grandes villes à Yangzhou, puis à l’occasion de la mission de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, mission dont je suis le rapporteur. Autant dire que nous aurons de multiples occasions de revenir sur ce pays-continent qui va profondément marquer notre 21eme siècle.

Samedi 4 mai 1985

L’atmosphère est désormais à la détente et à la culture.

La Cité Interdite et ses palais aux noms évocateurs nous ouvre ses portes: les pavillons de l’harmonie universelle, de l’harmonie parfaite, de l’harmonie éternelle, de la pureté céleste, de la concorde, de la paix terrestre, de la paix impériale et de la fierté céleste ! Sans cette foule dense et grouillante qui se fait sa place à coups de coude et de petits sifflements stridents, nous serions sur notre petit nuage « céleste ».

Abordé par une jeune et ravissante étudiante chinoise de Shanghai, nous faisons chemin ensemble. Parlant un anglais impeccable, très volubile, débordante d’enthousiasme et de gentillesse, la visite s’éclaire soudain de mille perspectives nouvelles, un peu tempérées malheureusement par la présence de mes collègues. On parcourt pavillons et ouvrages d’art. On se photographie, on se raconte nos vies, se promet d’apprendre le mandarin et le français…

Il m’apparait que Français et Américains sont les étrangers occidentaux les plus nombreux en terre chinoise devant Allemands et Britanniques. Il ne fait pas de doute que les Chinois progressent à pas de géant, accompagnant leur évolution avec la fougue des pionniers. Sauront-ils résister aux coups de balancier qui ont toujours rythmé leur histoire ? Ont-ils acquis les moyens d’éviter ces à-coups meurtriers ? Leur prodigieux réservoir humain devrait dégager une intelligentsia suffisamment importante, culturellement riche et diversifiée, capable d’entrainer sur le chemin des moindres conflits internes et externes.

Demain, la France n’aura guère plus de poids démographique qu’une région moyenne de Chine, la Belgique d’une de ses villes et le Luxembourg d’un arrondissement de Canton.

Avant qu’il ne soit trop tard, multiplions les missions économiques, scientifiques et culturelles.

Notre intérêt à court terme est évident, celui à long terme l’est encore plus. Vision urbaine ? C’est vrai, la Chine est encore essentiellement rurale. Mais le mouvement est là, ici comme ailleurs, les paysans seront aspirés par les villes où naissent, se développent, se concentrent et explosent toutes les initiatives économiques, sociales et écologiques déterminantes.

Le temple du ciel nous fait plonger en plein rêve des mille et un empires. Tout a été conservé ici avec bonheur. Même la grande révolution culturelle a épargné ce patrimoine exceptionnel, pourtant objet « idéologique » des visées destructrices des gardes rouges. Cela n’a pas été malheureusement le cas pour tout, et surtout pour tous !

 Dimanche 5 mai 1985

Notre petit groupe se réduit peu à peu. L’Américain et le Canadien sont retournés chez eux. Demain ce sera le tour de l’Allemand. Avec Dick et le Hollandais, nous quitterons Beijing mardi. Leur compagnie est agréable, parfois pesante. Il est difficile de prendre ses distances même si l’envie ne manque pas…

La surprise de la soirée, ce fut une représentation à l’Opéra de Pékin: salle modeste, fauteuils en bois, public bruyant. Le tout pour assister à un opéra lui-même bien modeste mettant en scène des personnages de la Chine ancienne. Nous avons stoïquement réussi à tenir les 3/4 du spectacle, soit beaucoup plus longtemps que la plupart des étrangers présents!

 Lundi 6 mai

Matinée de rêve au palais d’été, palais de la longévité dans la félicité. Histoire et romantisme se mêlent dans un bonheur apparent. Floraison merveilleuse, en harmonie avec les pavillons impériaux. Et toujours cette même foule grouillante…

Après-midi plus studieuse à l’ambassade de France avec le conseiller nucléaire, pour réentendre les mêmes propos désabusés que ceux déjà entendus à Ryad ou Tripoli : pourquoi les Français ne se montrent-ils pas plus présents, plus actifs ? Pour 10000 étudiants chinois aux USA, seulement 1000 en France et 1200 en Allemagne fédérale.

L’enjeu économique est pourtant décisif. Cela signifie maitrise des langues étrangères, échanges scientifiques internationaux à grande échelle, montages financiers mieux adaptés à l’investissement et à l’export, acceptation de risques de transferts de technologies, accueil des étrangers en France moins bureaucratique…

La France qui bénéficie souvent d’un a priori très favorable aux plans politique et culturel n’en tire pas l’avantage au niveau commercial et économique, loin derrière Américains, Japonais et Allemands…

 Mardi 7 mai 1985

Pour notre dernière journée à Pékin, notre guide a choisi de nous faire visiter le zoo de la capitale. Pourquoi le zoo alors que j’aurais préféré pousser jusqu’à l’ancien temple de Confucius ou mieux encore jusqu’à celui des Lamas ?  Mais le bouddhisme tibétain ne bénéficie d’aucun regain de faveur. Alors bonjour les pandas, les yacks et les tigres !

Les Chinois ne sont pas riches. Leurs salaires restent faibles, entre 50 yuans par mois (moins de 200 F) et 500 yuans pour les plus élevés. En contrepartie, les logements sont à des loyers quasi-nuls, les transports et la nourriture peu chers. Les vêtements ne sont pas donnés et les voitures hors de portée d’un particulier.

Les Chinois supportent, semble t-il, cette pauvreté relative avec l’espoir de ne pas en rester là.

Pékin donne le spectacle d’un vaste chantier où le neuf côtoie partout l’ancien. Les ilots insalubres sont en cours de démolition. Des immeubles plus modernes, jamais très hauts, surgissent un peu partout rompant avec l’architecture stalinienne, lourde et pompeuse, des édifices officiels. Les calculettes électroniques ont fait leur apparition mais le traditionnel boulier n’a pas disparu pour autant. Les opérations se font donc systématiquement deux fois. On ne bouscule pas l’histoire comme ça !

La circulation en ville va devenir le point noir. Aux heures de pointe, les files d’attente aux stations de transports en commun sont impressionnantes. Avec les seules voitures des administrations et les taxis, le trafic s’intensifie et les voies sont mal adaptées au mélange des genres, bus et vélos notamment.

Et puis, c’est le départ pour Shanghai, pas mécontent, à l’occasion de ce changement, de voler un peu de mes propres ailes. Mes guides pékinois ne sont pas rassurés de mon initiative jugée aventureuse et demandent à leurs homologues de Shanghai de m’accueillir à l’aéroport et de me trouver un hôtel.

L’aventure ne durera pas d’ailleurs très longtemps, retrouvant à l’aéroport de Pékin Jean-Noël Jeanneney, président de Radio-France, en compagnie de Monique Sauvage et de trois de leurs collègues, ainsi que de sa toute récente épouse, sœur de Jean-Pierre Cot. Que le monde est petit ! Je suis accueilli à Shanghai de façon fort sympathique par lady Du Li. Jeune et jolie, portant tailleur bien coupé… voilà qui me change agréablement des uniformes du Nord  aux teintes tristounettes.

 A suivre…