Ce mercredi 22 août, j’ai participé comme chaque année aux cérémonies officielles commémorant l’anniversaire de la Libération de Grenoble. Ces cérémonies constituent toujours un moment très fort pour moi.
Je vous propose de découvrir le discours que j’ai prononcé à cette occasion :
« Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames et Messieurs les Présidents d’associations,
Mesdames et Messieurs les Anciens combattants et Résistants,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
« Tout à coup, comme si la ville avait changé, la foule grouillait dans les rues de Grenoble, des drapeaux tricolores avec la Croix de Lorraine flottaient sur les maisons. Des inconnus nous serraient dans leurs bras, des filles nous donnaient des fleurs. Un sentiment de bonheur et de liberté flottait dans l’air. Sur l’avenue, une Citroën noire s’avançait. A l’avant de la voiture, par la fenêtre ouverte, quelqu’un brandissait un grand drapeau. Sur la carrosserie on avait peint avec de grandes lettres PREFET DU MAQUIS. De loin on entendait des cris, des exclamations. Sur la route marchaient les hommes, une partie était déjà en uniforme, mais la majorité était encore en civil, avec des vêtements déchirés et couverts de boue, mais tous rayonnaient de fierté. Nous nous sommes joints à eux pour entrer ensemble dans la caserne. C’était un sentiment enivrant d’avancer comme des vainqueurs au milieu d’une foule enthousiaste ».
Dans son ouvrage Grenoble, de l’Occupation à la liberté, qui se veut un récit romancé de cette époque, l’auteur hongrois Imre BOC rapporte les souvenirs éblouis qu’il conserva de la journée du 22 août 1944, qu’il avait vécue dans notre ville. Ce jour-là, dont nous célébrons aujourd’hui le 68ème anniversaire, Grenoble était libre après 349 jours d’occupation allemande et plus de quatre ans après la défaite du mois de juin 1940. Les Allemands l’avaient évacuée dans la nuit. Depuis des mois les maquis les empêchaient de sortir de Grenoble, ces maquis qui s’étaient considérablement renforcés après le débarquement du 6 juin et malgré la tragédie du Vercors.
Le 15 août 1944, le débarquement de Provence décidait du sort de notre ville. Grâce au concours de la Résistance intérieure, les troupes alliées, et en premier lieu américaines – Monsieur le Consul nous ne le dirons jamais assez – parvenaient en 6 jours à peine au col de Lus la Croix Haute alors que les plans des Américains prévoyaient qu’il leur faudrait trois mois pour y parvenir. La jonction des troupes alliées et des résistants était redoutable pour l’occupant, qui décidait de fuir la ville sans livrer de combat, abandonnant même ses prisonniers qui purent sortir vivants des geôles de la Gestapo.
Le matin du 22 août 1944 les parachutistes du premier bataillon de choc français, les maquisards et les FFI de l’Isère entrent dans Grenoble. Ils seront rejoints dans l’après-midi par le 3ème bataillon d’infanterie US du colonel ADAMS. Albert REYNIER, dit VAUBAN, est installé préfet de l’Isère – il a été désigné à cette fonction par le comité départemental de la Libération.
Frédéric LAFLEUR s’installe à l’hôtel de ville, il est le nouveau maire de Grenoble, c’est lui qui recevra deux mois plus tard notre Croix de la Libération des mains du chef de la France Libre.
Le général LE RAY – il est alors le capitaine BASTIDE, commandant des FFI de l’Isère depuis la disparition de SEGUIN de REYNIES – investit l’hôtel de la division. Le 22 août 1944, la République a été rétablie dans notre ville en même temps que s’est trouvée restaurée l’indépendance de la France.
Le prix à payer est lourd cependant pour retrouver la liberté : 1000 tués au combat, 1000 disparus, 1000 déportés pour faits de résistance, qui s’ajoutent aux 1000 juifs déportés depuis Grenoble pour les camps de la mort, parmi les 30000 qui avaient trouvé refuge dans notre « petite Palestine ».
Comme une femme le déclare au journal Les Allobroges : « Je suis heureuse de voir la Libération mais triste d’avoir perdu pour ça mon fils ».
Mais le 22 août, Grenoble connait une journée exceptionnelle dont le souvenir demeure soixante-huit ans plus tard dans l’esprit et le cœur des Grenoblois, rassemblés ici, dans notre maison commune, par fidélité aux Résistants et à leurs idéaux. Le 22 août 1944, la ville de la journée des Tuiles et de la Révolution française a renoué avec la liberté en récompense d’un long combat mené contre le régime de Vichy et l’occupant.
Ce combat commence dès la campagne de France du printemps 1940 lorsque l’armée des Alpes est la seule armée française invaincue, ayant résisté à la fois aux Italiens et aux Allemands.
Le geste de Grenoble est connu, je ne vous en infligerais pas le récit exhaustif car nous y passerions la nuit. Pour en donner un aperçu, il me suffira de rappeler le souvenir des cinq parlementaires isérois qui refusèrent, au risque de leur vie, de voter les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 au casino de Vichy.
La dissimulation à la commission d’armistice des armes de nos troupes alpines, qui serviraient plus tard aux combats pour la libération du pays (il s’annonçait là l’union des militaires et des civils qui devait être une des caractéristiques de la Résistance en Isère et l’une des conditions de ses brillants succès) .
La protestation du doyen GOSSE écrivant à PETAIN qu’il rendrait compte devant l’Histoire de sa trahison avant de périr dans la Saint-Barthélémy avec son ami Gaston VALOIS et tant d’autres martyrs. Les troubles accueillant le chef de l’Etat français le 19 mars 1941 alors qu’il était partout acclamé. Les rapports préfectoraux témoignant tous de l’hostilité de la population grenobloise au régime de Vichy et son souhait de voir triompher les alliés.
La fondation du mouvement COMBAT au domicile de Marie REYNOARD ou encore l’action du réseau de renseignement REIMS-COTY, qui avait son siège national à Grenoble.
Le noyautage de l’administration par la Résistance, qui fournissait ainsi des renseignements de première main aux Alliés. Les explosions du polygone d’artillerie et de la caserne de Bonne. La manifestation du 11 novembre 1943 au cours de laquelle les Grenoblois affirmèrent à la fois leur patriotisme et leur confiance en la victoire finale. La rapidité avec laquelle les mouvements se reconstituèrent dans notre ville après la tragédie de la Saint-Barthélémy grenobloise.
Les coups de main des corps francs de Paul VALLIER. Les liens étroits de Grenoble avec nos maquis, dont Radio-Londres nous proclama la capitale. Le martyre des fusillés du Vercors dans le quartier de Saint-Bruno l’avant-veille de la libération de Grenoble.
Certes, ici comme ailleurs il exista des fonctionnaires zélés et des collaborateurs abjects pour appliquer les directives de Vichy, seconder les Allemands, traquer les résistants, spolier puis déporter les Juifs. Nous avons même le devoir de regarder cette vérité en face.
Le général de GAULLE disait que la France n’avait pas besoin de la vérité mais qu’elle avait besoin d’espoir. Sans nul doute avait-il raison au sortir de la guerre. Deux générations plus tard, cependant, la France a bel et bien besoin de porter un regard lucide sur son passé afin de pouvoir aller de l’avant.
Mais si Grenoble connut elle aussi cette face sombre de l’Occupation, il se manifesta surtout dans notre ville, animant la plus grande part des Grenoblois, un amour de la liberté et des valeurs républicaines et humanistes par lesquelles nos concitoyens d’aujourd’hui se reconnaissent en leurs devanciers.
C’est pourquoi nous ne sommes pas seulement rassemblés ce soir pour évoquer une page belle et glorieuse de notre histoire, aussi nécessaire son souvenir soit-il.
Nous ne sommes pas là non plus seulement pour rendre hommage aux résistants et aux héros tombés pour la liberté, aussi indispensable que fût notre fidélité aux martyrs et à leurs camarades. En réalité, comme chaque année au soir du 22 août, nous nous rencontrons pour tirer ensemble les enseignements de la Résistance et y puiser une source d’inspiration.
A l’occasion du 60ème anniversaire de la Libération de Grenoble, devant une foule enthousiaste de plusieurs milliers de personnes, j’avais conclu mon allocution par quelques mots de Pierre BROSSOLETTE sur les martyrs de la France combattante. Il les avait prononcés le 18 juin 1943.
Il disait, je le cite : « En cet anniversaire du jour où le général de GAULLE les a convoqués au banquet sacré de la mort, ce qu’ils nous demandent ce n’est pas de les plaindre mais de les continuer. Ce qu’ils attendent de nous ce n’est pas un regret, mais un serment, ce n’est pas un sanglot mais un élan ».
On ne saurait encore aujourd’hui mieux évoquer l’actualité du message de la Résistance. Cet élan auquel nous sommes conviés, il est celui de la construction d’une France fraternelle et d’une France sûre de son destin.
Une France fraternelle parce que la France n’est elle-même que lorsqu’elle refuse les tentations faciles, le racisme, l’antisémitisme, la stigmatisation de telle ou telle catégorie de ses concitoyens ou résidents et elle n’est encore elle-même que lorsqu’elle ne se résigne pas à l’ordre des choses établies.
C’est cet état d’esprit qui a donné à notre pays la place qu’il occupe dans le monde, qui fait de la Marseillaise un hymne universel à la liberté et des 60 millions de Français une communauté bien plus influente que ne le seraient autant d’êtres humains choisis au hasard de par le monde.
Cet état d’esprit-là a pu être bafoué en certaines circonstances mais il s’impose toujours au terme de chaque épreuve parce que nos compatriotes sont fiers des valeurs humanistes qui forment notre seule véritable identité nationale.
Voilà pourquoi j’appelle de mes vœux une France ouverte sur le monde comme Grenoble lui en montre déjà l’exemple.
Une France sûre de son destin, voilà l’autre message que nous lègue la Résistance. Il faut le rappeler à nos concitoyens à l’heure où tous les sondages d’opinion expriment un pessimisme que pour la première fois dans notre histoire une alternance politique n’a pas eu le pouvoir de réduire. Pierre MENDES FRANCE a écrit du général de GAULLE qu’il avait été en 1940 « l’interprète et l’instrument de la nation en son vrai destin ».
Nous ne vivons pas des circonstances aussi dramatiques et nous ne sommes pas à la recherche d’un sauveur providentiel.
Mais tous ensemble nous n’en devons pas moins veiller à être ces instruments de la nation en son vrai destin en repoussant toute tentation de céder à la fatalité du déclin. Les défis à relever sont grands : désindustrialisation, déficit du commerce extérieur, dette abyssale de l’Etat, insuffisances du système scolaire, crise des quartiers, affaiblissement du vivre ensemble… Mais les défis étaient bien plus grands à l’été 1940 lorsque la France se trouvait à terre et bien plus grand aussi à l’été 1944 lorsque la France était à reconstruire. Et pourtant nos devanciers les ont relevés et de quelle belle manière ! Si nous faisons preuve de la même ambition, de la même énergie et du même enthousiasme qu’eux, nous poursuivrons cette aventure formidable qu’a été la France au long des siècles.
Mais ce salut, nous le savons, passera aussi par l’Europe. Soixante-huit ans après les événements historiques dont le souvenir nous réunit, nous vivons dans une Europe en paix grâce à la réconciliation franco-allemande, qui aura marqué la seconde moitié du XXème siècle. Nos nations qui, durant des siècles, ont mené des guerres que Victor Hugo avait raison de qualifier de fratricides, ont bâti une union pacifique et prospère. Cependant jamais depuis sa création cette union ne s’est vue autant menacée.
Sur le plan de l’économie bien sûr, les incertitudes s’accroissent, la crise sera longue, personne ne peut plus prévoir le sort de l’Euro et encore moins celui des pays les plus fragiles de notre zone monétaire. Mais je redoute une crise encore plus grave pour l’Europe, et qui serait celle-ci mortelle : la crise du sens que nous voulons donner à cette Union. Ce n’est plus seulement la confiance en l’Europe qui s’érode, c’est désormais jusqu’à la volonté des peuples de la conserver. On entend ici ou là que tel ou tel pays ne devrait plus en être membre. On s’interroge sur la force des liens qui nous unissent encore les uns avec les autres alors que s’affrontent les intérêts nationaux. Il a quelques mois un ministre polonais prédisait même que dans une vingtaine d’années il y aurait de nouveau des guerres sur le continent européen.
Le propos était outrancier bien sûr mais il résonne comme un avertissement.
Sommes-nous condamnés à reproduire les erreurs des années 30 qui conduisirent aux tragédies des années 40 ? Pour ma part je ne le crois pas. Avec de la volonté, nous pouvons au contraire sortir l’Europe de son ornière. L’Europe a toujours avancé par des compromis qui lui ont chaque fois permis de poursuivre, même à petits pas, dans la voie de l’intégration. La méthode vaut encore en ces temps de crise. Pour l’heure en tout cas notre avenir repose sur une nouvelle relation franco-allemande, faite d’équilibre entre nos deux pays plutôt que de soumission de l’un à l’idéologie et aux intérêts supposés de l’autre.
Conclure en cette belle soirée du mois d’août, le jour anniversaire de la Libération de Grenoble, à la nécessité de l’amitié franco-allemande, c’est là bien entendu la meilleure façon de célébrer la victoire de la démocratie sur le nazisme et le rapprochement des peuples européens qui devait s’ensuivre.
Et puis comment commémorer la Libération de Grenoble sans évoquer l’Ordre de la Libération, institué – comme vous le savez tous – en 1940 par le Général de Gaulle pour distinguer les personnes et les collectivités civiles ou militaires qui s’étaient « signalées de manière exceptionnelle dans l’œuvre de la libération de la France et de son Empire » ?
Le Colonel Fred MOORE, son Chancelier, n’a malheureusement pas pu être présent aujourd’hui, retenu à Paris dans le cadre des préparations des cérémonies en l’hommage du premier soldat tué de son bataillon. Mais nous avons l’immense honneur d’avoir à nos côtés le Colonel Loïc LE BASTARD, Secrétaire-Général de l’Ordre de la Libération.
Mon Colonel, c’est un privilège de vous avoir parmi nous à Grenoble, Ville Compagnon de la Libération. L’année 2012 est une année particulière puisque le Conseil national des Communes Compagnons de la Libération sera créé au plus tard le 16 novembre 2012, selon les termes de la loi du 9 mars 2012. 2012 sera également une année à part puisque, Mon Colonel, vous quitterez le Secrétariat Général de l’Ordre. Je prends cette nouvelle avec un mélange de tristesse et de joie. Tristesse car vous avez tant œuvré à cette fonction, vous avez tant compté pour nous, et je veux vous redire à cette occasion toute l’amitié que mon épouse Marie et moi-même vous portons à vous et votre femme. Mais je suis confiant car je sais que notre ami Jean-Paul ROUX reprendra le flambeau comme il se doit.
Vive le souvenir du 22 août 1944 !
Vive Grenoble, notre ville compagnon de la Libération !
Vive la République !
Vive la France qui est notre patrie !
Et vive l’Europe qui est notre avenir ! »