La ville, territoire d’innovation sociétale – Tribune dans Mediapart

Mai 3, 2012 | Actualités, Dans les médias | 0 commentaires

« La segmentation électorale entre grands centres urbains, périphéries et campagnes doit nous interroger quant à la politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire que nous entendons défendre.(…) Il est temps de penser la ville de manière globale et à grande échelle. »

Par Michel Destot, député-maire de Grenoble et co-président du Conseil des élus placé auprès de François Hollande.

Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle ont interpellé l’opinion, avec une préoccupante percée de Marine le Pen. Le vote pour l’extrême droite progresse fortement dans les zones pavillonnaires et en milieu rural, y compris dans des départements qui lui étaient jusque-là rétifs (Sarthe, Puy de Dôme…). En revanche, dans la quasi-totalité des grandes villes, le vote FN est très en dessous de la moyenne nationale. Pour sa part, le candidat socialiste y réalise de bons résultats, y compris dans des villes dirigées par l’UMP (Bordeaux, Orléans, Avignon). Relevons aussi que le score de François Hollande dépasse les 40% dans des villes populaires de banlieue parisienne, souvent stigmatisées ces derniers temps : c’est le cas à Montreuil, Saint-Denis ou Aubervilliers.

Comment expliquer une telle fracture territoriale ? Au-delà des spécificités géographiques et des traditions politiques locales, les grandes villes et banlieues comptent en leur sein des populations d’origines diverses, où le vivre-ensemble est vécu comme une chance plutôt que comme une menace ou un danger potentiel. Certes, nul ne conteste les difficultés de l’intégration et les phénomènes de replis identitaires ou religieux observés ici et là ; il n’empêche que la mixité sociale est aussi appréhendée sur ces territoires, par les élus et les populations concernées, comme une réalité et une richesse.

Le vote des grandes villes est aussi à rapprocher, me semble-t-il, des politiques sociales et de solidarité mises en œuvre au quotidien, au service des plus fragiles mais aussi des catégories intermédiaires en difficulté : programmes locaux de l’habitat, promotion du lien social et de la médiation, soutien aux politiques de la petite enfance –comme nous le faisons à Grenoble–, de la culture et du sport, forums de l’emploi, conseils extra-municipaux de la laïcité et du vivre-ensemble, prévention de la délinquance, offices de la tranquillité publique…

De même, s’il reste encore énormément à faire, la politique de la ville, malgré le retrait de l’État et la baisse des crédits, a connu des avancées avec les programmes de rénovation urbaine, qui ont modifié en profondeur la physionomie des cités.

Quoi qu’il en soit, la segmentation électorale entre grands centres urbains, périphéries et campagnes doit nous interroger quant à la politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire que nous entendons défendre. Même s’il demeure dans les représentations culturelles, le clivage rural/urbain est aujourd’hui dépassé et à dépasser. Il est temps de penser la ville de manière globale et à grande échelle. De nombreuses agglomérations englobent déjà des territoires de périphérie ou de banlieue voire, à leurs confins, des villages ruraux, qu’elles s’attachent à développer et promouvoir.

De ce point de vue, l’achèvement de la carte de l’intercommunalité en cours est une chance d’élargir les périmètres géographiques d’intervention et, notamment, les politiques de desserte par les transports en commun pour que chacun puisse jouir du droit à la ville et de ses opportunités. Les politiques d’urbanisme doivent ainsi, dans la dynamique du Grenelle de l’environnement, être envisagées au niveau des aires urbaines, comme à Lyon ou Nancy, ne serait-ce que pour assurer une répartition équilibrée du logement social sur le territoire. C’est ainsi que nous pourrons lutter efficacement contre le mitage dont les conséquences sont désastreuses pour les ménages à faibles ressources.

Dans la concurrence qui s’engage entre grands pôles urbains européens, il ne peut y avoir de laissés-pour-compte, d’oubliés de la croissance et du développement social et économique. Aucune femme, aucun homme ne peut en être exclu. Cette exigence nécessite des politiques locales ambitieuses d’éducation, de formation et qualification, notamment auprès des jeunes, et de soutien au logement, au transport collectif, en lien avec les régions et l’Etat.

Ces politiques territoriales supposent de nouveaux rapports entre l’Etat et les collectivités locales et des engagements fondés sur le respect de chaque partenaire, dans une logique de délégation de moyens plutôt que de délestage de charges et de responsabilités. Un nouvel acte de la décentralisation doit ainsi être lancé, qui, dans le cadre de régions renforcées, consolide les compétences des grandes villes et intercommunalités dont la légitimité démocratique doit être pleinement reconnue. C’est ainsi que nous pourrons renforcer les politiques de solidarité et du vivre-ensemble, et lutter contre toute forme de radicalisation politique que l’on observe aujourd’hui dans une « France périphérique » dominée par la peur de la relégation sociale.