Il serait présomptueux de déclarer avec certitude que nous entrons avec cette crise du capitalisme dans une «ère nouvelle». Il faudra, en tout état de cause, concevoir une nouvelle organisation entre le capitalisme financier et l’économie productive, la croissance et le développement durable, le capital et le travail. Nous devons faire le même effort que nos prédécesseurs des années 1930. Réformer le capitalisme suppose de renouveler la social-démocratie, pour en faire une gauche constructive, apportant des solutions concrètes et réelles pour sortir de la crise, dans une vision forte d’un monde plus humain et plus juste. Les valeurs et les enseignements que la social-démocratie a élaborés dans le feu des épreuves passées demeurent toujours valides. La puissance de l’économie de marché est à la fois créatrice et destructrice. L’intervention publique est donc nécessaire et légitime pour protéger les marchés d’eux-mêmes et lutter contre les inégalités sociales. La question clef est de savoir comment sont partagés les risques, les responsabilités, les richesses créées et quelles doivent être les régulations et les prélèvements mis en œuvre par la puissance publique.
La crise profonde que nous affrontons nous impose de penser un ordre des choses où la question principale est tout autant celle de la production des richesses que celle de leur redistribution. La solution doit être socialement utile et écologiquement soutenable. Dans un monde transformé par l’arrivée de nouveaux acteurs et dans une France devenue sous-compétitive à l’échelle européenne comme mondiale, les socialistes doivent refaire de la connaissance sous toutes ses formes le cœur de leur projet avec un slogan simple «éduquer, former, innover, chercher, créer». Il ne doit y avoir aucune limite préétablie à l’action publique et collective dans les domaines économiques et sociaux. La seule limite acceptable réside dans l’efficacité au regard des objectifs politiques fixés démocratiquement. Le renouveau de la puissance publique passe aussi et surtout par l’intervention des collectivités locales que nous voulons plus fortes avec des compétences clarifiées.
L’Europe est, à l’évidence, la nouvelle frontière de la social-démocratie rénovée
L’Europe est, à l’évidence, la nouvelle frontière de la social-démocratie rénovée. Mais il s’agit d’une Europe différente, à la fois plus unie (en refusant l’Europe à la carte), plus intégrée, en se dotant d’un cadre institutionnel clair et démocratique, et surtout plus offensive en matière de développement économique et social grâce à un budget enfin crédible, une capacité d’emprunt et l’arrêt d’une position libérale dogmatique sur les grandes questions liées au commerce interne et externe. Avec la crise financière, l’Europe semble avoir, enfin, sous la pression des événements, compris la nécessité de réaffirmer sa fonction de régulation et de protection. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Il faudrait pour cela, que l’embryon de gouvernement économique européen, spontanément créé dans la tempête – et dans l’improvisation – puisse se concrétiser et surtout se pérenniser. Plusieurs chantiers doivent être explorés, vite et simultanément. Celui des institutions économiques et financières de l’Union ; celui des politiques publiques européennes, car les citoyens de nos pays attendent des actes pour lutter contre les effets de la crise ; celui d’une nouvelle politique industrielle, car c’est à cela que chacun pense, confronté qu’il est à l’annonce des plans de licenciement et des mesures de chômage technique.
Ce combat pour une nouvelle cohérence européenne est inséparable d’un engagement international. Deux exigences de méthode apparaissent ici comme des préalables. D’une part, nous devons mener un combat sans relâche pour faire triompher la transparence économique, financière et sociale, sans laquelle la régulation mondiale n’est que discours et illusions. D’autre part, nous devons pousser toutes les formes possibles de constitution d’un espace public mondial plus homogène. Cela passe notamment par la création d’un conseil de sécurité économique, social et environnemental mondial faisant place à tous les pays et continents et statuant sur tous les grands sujets qui sont aujourd’hui traités en des lieux différents au grand bénéfice des seuls critères commerciaux. Il faudra y associer une plus grande intégration des forces sociales et de la société civile sans lesquelles les grands combats tels que la lutte contre la corruption ou pour les biens publics mondiaux ont peu de chance d’aboutir.
Les chocs violents de la crise financière et économique et les déficiences des institutions publiques internationales encouragent les appels au repli. Le protectionnisme est bien présent dans le débat politique. Notre identité internationaliste, le besoin évident des échanges entre pays émergents et développés pour réduire les immenses inégalités de développement, la capacité de rétorsion de pays qui apportent aujourd’hui le tiers, voire la moitié de la croissance mondiale, nous confirment que c’est une impasse absurde, chargée potentiellement de tensions internationales extrêmes.
" Pour que la gauche de gouvernement redevienne ce qu’elle doit être : une force de transformation "
Les propositions que nous faisons doivent s’accompagner d’un engagement clair pour celles et ceux qui veulent rénover la social-démocratie. Il s’agit de définir et de mettre en œuvre des politiques sociales, économiques, culturelles et démocratiques qui représentent pour tous les groupes sociaux qui ne sont pas privilégiés, la sécurité, l’espérance de droits plus complets, le recul des tendances profondes à la marginalisation. Le travail ne manque pas. Nous voulons le mener dans la clarté de nos choix politiques passés et présents, ceux qui nous ont rapprochés de Dominique Strauss-Kahn, ceux qui nous ont amenés à rejoindre Bertrand Delanoë pour le congrès de Reims et à soutenir Martine Aubry comme première secrétaire du PS. Nous voulons tendre la main aux Français, à tous ceux qui veulent avec sincérité débattre et dialoguer, pour proposer à notre pays un nouveau contrat social-démocrate. Ils sont les bienvenus aux réunions et aux débats que le cercle de réflexion que nous avons créé, Inventer à gauche va organiser dans les semaines et les mois qui viennent.
Dialoguer, inventer, proposer pour que la gauche de gouvernement redevienne ce qu’elle doit être : une force de transformation, d’abord au profit de ceux et de celles que ni la naissance ni la fortune n’ont favorisés, et une source d’espérances mobilisant et rassemblant les peuples, au-delà des différences, au-delà des frontières.
Cette tribune libre publiée dans les pages "Rebonds" de Libération a été cosignée par Alain Bergounioux, historien, membre du conseil national du PS, Dominique de Combles de Nayves, avocat, Michel Destot, député-maire de Grenoble, Alain Richard, ancien ministre, Bernard Soulage, député européen et premier vice-président de la région Rhône-Alpes et Catherine Tasca, sénatrice, ancienne ministre.
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