Courant à perdre haleine derrière le Front National, Nicolas Sarkozy tente de ranimer le débat sur l’identité nationale tel qu’il l’avait lancé en 2009 avant de le voir piteusement tourner court. Un débat mené avec, déjà, des arrières pensées et des relents nauséabonds. Il s’agit, comme on l’a entendu dans son discours de Marseille et sous couvert de glorifier l’identité de la France, d’opposer les « bons » Français – ceux qui voudraient une « France forte », pétrie des valeurs qui feraient sa grandeur comme le respect de l’autorité, du travail, de la famille, etc. – aux « mauvais » français – ceux qui désarmeraient le pays, prôneraient la division et l’éclatement communautaristes, gaspilleraient la ressource commune dans un assistanat débridé, etc.
Le procédé, qui se réclame sans vergogne du général de Gaulle, est caricatural – bien loin de ce qui dictait la conduite du Président d’alors : la volonté de rassembler, de dépasser les clivages entre la droite et la gauche, et de réconcilier le peuple des cathédrales de Charles Péguy et le peuple de Valmy de Jean Jaurès. Le président sortant ne retient du gaullisme que la référence au peuple, ici purement incantatoire, et la critique des « corps intermédiaires ». De fait, pour l’essentiel, son opposition des deux France le place dans la tradition maurassienne et de ses « anti-France »…
On pourrait s’arrêter là tant il est difficile de prendre vraiment au sérieux Nicolas Sarkozy. Mais à force d’outrances de vocabulaire et de braconnages incongrus dans des pensées éparses, le risque est réel d’accroître le trouble au sein de notre Nation et de susciter, sinon la haine, du moins la méfiance entre des citoyens angoissés par la crise qui les frappent dans une société en manque de repères.
Prétendre figer l’identité de la France, c’est enfermer les Français dans des pensées trompeuses, c’est risquer de les mettre en échec face aux réalités du présent et aux défis de l’avenir. C’est pire qu’une erreur intellectuelle, une faute morale. Une erreur intellectuelle, car la France s’est forgée par la diversité. Puisque le candidat de la droite se plaît à des références d’auteur, qu’il lise Fernand Braudel ! Notre vieux pays n’a jamais connu de culture uniforme ; il a vécu, au fil de sa longue histoire, composite, houleuse, mais féconde, d’apports sans cesse nouveaux dans son peuplement, dans ses langues, dans ses coutumes, dans ses religions… Une faute morale, car nos concitoyens ont besoin aujourd’hui de se rassembler dans ce qui les unit, d’assumer dans la concorde la complexité de leur passé, d’inscrire leur destin dans un avenir européen. C’est cela le génie français !
Plutôt que d’instrumentaliser l’identité de la France, en la réduisant, au service d’une tactique électorale, voyons ce que notre histoire porte en elle de richesses et de promesses pour permettre aux Français de se penser dans le monde, de lier leurs existences individuelles à une ambition collective. Ces ressources sont à portée de nos mains : il suffit de puiser dans les valeurs républicaines, vivre libres, égaux et fraternellement, des valeurs magnifiées par le socialisme humaniste. Dans ce qu’elle a de meilleur, la République a toujours su mettre les libertés individuelles au service d’un projet collectif, en liant l’émancipation personnelle et l’élévation de la Nation. C’est le fondement de ce que peut être le « rêve français » que François Hollande propose ; le rêve d’un progrès à l’œuvre et d’une fierté collective recouvrée. Un rêve et une ambition : que demain soit meilleur qu’aujourd’hui. Les crises actuelles produisent de la démoralisation et du découragement. Mais les remèdes qu’elles appellent dessinent justement la voie d’un changement. Maintenant !
Plutôt que de faire allusion au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy sur la déchéance de nationalité, nous préférons le renvoyer aux paroles du Général De Gaulle remettant la croix de la Libération à la ville de Grenoble ; ou encore à celles de Hubert Dubedout, Maire emblématique de Grenoble, précurseur de la politique de la ville, qui a lancé l’aménagement de nouveaux quartiers en cherchant à favoriser la mixité sociale, le vivre et l’agir-ensemble.
François Hollande a présenté ses engagements. Ils s’inscrivent dans une cohérence d’ensemble. Ils reposent surtout sur un diagnostic de nos besoins : d’abord, un besoin de démocratie qui écarte le pouvoir d’un seul, remobilise toutes les forces sociales et reconnaisse à chacun sa place. Cette démocratie restaurée et régénérée sera avant tout politique : équilibre des pouvoirs et respect de la Justice, équilibre entre l’Etat, conforté et non asservi, et les collectivités locales, aux compétences et libertés respectées. Mais cette démocratie sera aussi sociale : par une fiscalité plus juste et transparente, car l’impôt est la contribution de tous au bien public ; par une politique de la Jeunesse qui commence dès la petite enfance ; par un immense effort pour l’éducation et la lutte contre l’échec à l’Université ; par l’élan retrouvé de notre recherche, portée par des ‘Assises régionales de la recherche’. Elle sera aussi revivifiée par le traitement des grandes questions aujourd’hui sans réponse : l’égalité des hommes et des femmes ; le même droit pour chacun, quelle que soit son orientation sexuelle ; la fin de la vie et la dignité qui s’impose à ce sujet ; le respect de la liberté d’opinion, de conviction, et de conscience dans le fil de la loi de 1905.
Il y a aussi un besoin – urgent – d’honorer nos obligations vis-à-vis des générations futures et dans le souci de notre patrimoine commun, la Terre. Dans son adresse à la jeunesse, Pierre Mendès-France s’exprimait en ces termes devant l’Assemblée nationale en décembre 1955 : « Chaque fois que nous voudrons résoudre ces problèmes difficiles et complexes en vue de l’intérêt véritable et profond de la nation, de sa croissance, de son progrès, de sa puissance, chaque fois, puisqu’il s’agit de l’avenir, c’est inévitablement dans le sens qui profite le plus à la jeunesse que nous trouverons les solutions valables, les seules qui ne trompent pas ».
Il faut mettre de l’ordre dans notre maison, qui croule sous les dettes et les déficits de toutes natures, car la mauvaise gestion de l’Etat pénalise les plus modestes et non les plus riches. Il faudra le faire en préservant le cœur des politiques publiques et en les réorientant sur des perspectives d’avenir. Il faut préparer sans démagogie, mais avec constance la transition écologique et le rééquilibrage de notre composante énergétique.
Il y a, enfin, un besoin de penser ensemble les problèmes de la France et ceux de l’Europe, et d’agir en conséquence. La politique de la France ne se fait pas sur des coups de tête et des effets d’annonce. Etre un pays doté de l’arme nucléaire, membre permanent du conseil de sécurité, engagé sur de nombreux théâtres au service de la paix crée des devoirs : c’est aussi cela, l’identité de la France. Contribuer à une meilleure gouvernance du monde, appuyer la démocratie, lutter pour réduire l’écart entre les plus pauvres des nations et les plus riches, c’est redonner un sens au combat des hommes et de femmes de 1789.
Aimer la France et vouloir lui redonner force et espérance, aimer la France et vouloir faire rayonner à nouveau son message universel… l’essence de notre Nation exige de nous la fidélité à l’esprit de la République. Chaque Français doit en être persuadé, l’espoir en demain est possible. C’est le sens du combat de François Hollande. Ce combat nous le partageons.
Michel DESTOT, Député de l’Isère, Maire de Grenoble, Président d’Inventer à gauche
Alain BERGOUNIOUX, Historien, Vice-président d’Inventer à gauche
Dominique DE COMBLES DE NAYVES, Ancien Ambassadeur et Secrétaire général d’Inventer à gauche