Alors que François Hollande faisait hier au Bourget de la réindustrialisation de la France l’une des priorités de son quinquennat, je signe aujourd’hui, avec Roger Godino, ancien doyen de l’Insead et vice-président d’Inventer à gauche, une tribune intitulée « Ce que nous proposons pour réindustrialiser la France » dans le quotidien Les Echos :
Nous prenons le parti des solidarités. Et la première des solidarités, qui est aussi la première des préoccupations des Français, c’est l’emploi. Or, en dix ans, 800.000 emplois industriels ont disparu dans notre pays. La production manufacturière française régresse.
Aujourd’hui, ce sont près de 10 millions d’ouvriers, de techniciens et d’employés qui ne croient plus à la politique, parce qu’ils se sentent abandonnés face au chômage.
Pour réindustrialiser la France, nous devons tout à la fois rétablir la compétitivité de notre appareil productif, développer des financements pour nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) et adopter une gouvernance adaptée aux économies du XXI e siècle.
Il faut d’abord améliorer la compétitivité de nos entreprises, permettant ainsi de résorber notre grave déficit du commerce extérieur. Notre politique industrielle doit avoir pour principale ambition de développer le nombre et le volume de nos ETI. La France ne compte actuellement que 4.700 ETI (dont à peine 380 entreprises de plus de 1.000 salariés ; 64 % des ETI ont moins de 500 salariés), contre 16.000 en Allemagne. Nous avons le projet de doubler ce nombre au cours des dix prochaines années, parce que ces entreprises moyennes sont la principale source d’innovation, de compétitivité et d’emplois qualifiés.
Cela passe par un transfert progressif à travers un « mix » fiscal complet, de l’ordre de 2 % du PIB, des cotisations sociales qui pèsent sur les salaires. Ce basculement générerait un gain significatif pour l’emploi et la croissance. En effet, un abaissement des cotisations sociales de cet ordre devrait permettre une augmentation de plus de 2 % de PIB et la création d’environ 600.000 emplois à l’horizon 2015-2020.
L’amélioration de la compétitivité doit s’accompagner d’une réorganisation du financement des ETI et des PME. Pour se développer, une entreprise moyenne a besoin de capital. L’émission d’actions sans droit de vote souscrites par un établissement financier public spécialisé est une première piste à explorer.
Un fonds national d’investissement en fonds propres dans les PME-ETI de 15 milliards d’euros doit être mis en place en priorité. Nous devons également promouvoir un amortissement dégressif et favoriser un meilleur accès aux prêts pour assurer la trésorerie et le besoin en fonds de roulement (BFR) nécessaires en période de croissance.
Au-delà, il nous faut également décentraliser la politique d’innovation industrielle, comme le préconise François Hollande. La création de banques régionales d’investissement, de fonds de capital-risque régionaux et d’un livret industriel et d’innovation (sur le modèle du Livret A) faciliterait le financement des ETI-PME… 5 % des fonds de l’assurance-vie pourraient être dédiés à l’industrie et à l’innovation.
Des financements européens doivent aussi être apportés, avec l’aide de la banque européenne d’investissement (BEI), par une Agence européenne d’investissement, financée par l’émission d’eurobonds ou de « projectbonds » à hauteur de 1.000 milliards d’euros. Une structuration en une cinquantaine de pôles de compétitivité européens à vocation mondiale devra être mise en place. Une réorientation significative des fonds structurels européens en direction de l’industrie et de l’innovation doit absolument être effectuée.
La gouvernance de l’entreprise doit être organisée autour d’un dialogue social positif et créatif avec la participation du personnel au conseil d’administration ou au conseil de surveillance des entreprises à partir d’une certaine taille.
La gouvernance de notre politique industrielle et d’innovation mérite également d’être repensée. L’Etat doit se positionner en stratège et définir les orientations de politiques industrielles à travers la création d’un ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de l’Innovation et de l’Industrie (un Miti à la française du XXI e siècle).
Des programmes structurants comme l’aéronautique, le spatial, le nucléaire, l’électronique, reconduits sur plusieurs décennies, ont forgé notre politique industrielle. Demain, de nouveaux programmes – tournés vers la croissance verte -peuvent être lancés dans le domaine des énergies renouvelables, des matériaux et des nanotechnologies, de la santé et des biotechnologies, de l’environnement et des « cleantech ».
Le relais européen est ici indispensable. Aussi devient-il urgent que l’Union se dote de politiques beaucoup plus actives sur le plan industriel comme environnemental.
Tels sont les principaux axes qui devraient composer notre nouvelle politique industrielle.
Michel Destot est député-maire (PS) de Grenoble et président d’Inventer à gauche
Roger Godino, ancien doyen de l’Insead, est vice-président d’Inventer à gauche.