À l’occasion de ses 50 ans et du 50eme anniversaire des JO de Grenoble, le Centre œcuménique Saint-Marc avait organisé une Table Ronde sur « la montagne, un lieu qui nous élève et nous unit », à laquelle j’avais été invité.
Au cœur de mon quartier et devant une assistance assez nombreuse, j’ai pu évoquer quelques aspects de la montagne qui ont orienté mon engagement municipal comme mon parcours personnel d’alpiniste. Tout en observant que le monde de la montagne n’échappait pas aux réalités de la société avec ses espoirs, ses joies mais aussi ses épreuves et ses contradictions.
Concernant les Jeux Olympiques, j’ai rappelé une nouvelle fois que les JO de Grenoble en 1968, ont été une chance déterminante pour notre territoire et son développement. En termes d’infrastructures (hôpital Sud, Gare, équipements sportifs, logements,…) dans une ville alors largement sous-dotée. Mais aussi en termes d’image et d’attractivité pour une cité qui désormais voyait se renforcer son développement universitaire, technologique et économique.
La candidature de Grenoble pour 2018 s’inscrivait dans cette même perspective avec un dossier jugé le meilleur par le comité technique du Comité National Olympique et Sportif Français, notamment par la dimension de développement durable qu’il mettait en avant.
On connaît malheureusement la suite… La politique s’est en mêlée au plus haut niveau au détriment d’une ville qui n’était pas de la même sensibilité que celle du chef de l’Etat, et avec un Comité National Olympique et Sportif Français plus attaché à une candidature française pour les Jeux d’été que pour ceux d’hiver.
Certains, y compris à Grenoble, n’ont pas toujours été favorables à l’organisation des JO, même si les choses ont, semble t-il évolué au sein de l’équipe municipale actuelle, mettant en avant en particulier le caractère nationaliste et l’utilisation de la drogue dans ces grandes compétitions populaires et sportives.
Je répondais à ces critiques qu’il fallait, bien sûr, combattre la drogue et toute tentative de débordement nationaliste, tout en rappelant cette phrase de Romain Gary « Le nationalisme c’est la haine des autres, le patriotisme c’est l’amour des siens ». Cependant, il ne faut pas remettre en cause l’essentiel, c’est-à-dire l’idéal multi-culturel des JO.
Maire de Grenoble, la montagne a représenté pour moi, une double conquête de l’utile et de l’inutile, pour reprendre et compléter la célèbre phrase de Lionel Terray. En jouant sur le matériel et l’immatériel, sur le réel et le rêve…
Outre les JO de 68, Grenoble possède un bel héritage venu de la montagne. La houille blanche est à l’origine de son extraordinaire aventure économique, avec des entrepreneurs venus des 6 coins de l’hexagone et des 5 continents, femmes et hommes attirés par notre environnement exceptionnel et contribuant à le valoriser aux plans scientifique, économique, culturel, sportif et social.
J’ai cherché, avec mes équipes, à renforcer ce lien particulier avec la montagne.
Par la création d’une maison de la montagne en plein centre-ville.
Par l’organisation de rencontres internationales du cinéma de montagne.
Par la création, surtout, de l’opération « jeunes en montagne » bénéficiant à des jeunes issus des quartiers populaires de Grenoble et qui restaient loin de la pratique de la montagne, pour des raisons matérielles ou culturelles.
Cette politique a marqué un tournant social de l’approche de la montagne à Grenoble, et j’en garde un souvenir fort au fond de moi.
À titre plus personnel, l’attrait pour la montagne s’est forgé progressivement des blocs de Fontainebleau où j’ai mieux connu Marie, qui devait devenir mon épouse, aux grandes courses dans les Alpes, les Andes, en Himalaya, au Japon ou en Afrique.
Dimension esthétique, respect de la nature, solidarité (fraternité souvent fusionnelle), ont compté pour moi tout autant que l’engagement physique pourtant souvent intense.
J’aime cette remarque de Confucius: « Tous les hommes pensent que le bonheur se trouve au sommet de la montagne, alors qu’il réside dans la façon de la gravir ».
Je me souviens plus fortement des épreuves rencontrées, des itinéraires d’ascension et de descente, et surtout de mes compagnons de cordée, que des sommets eux-mêmes.
J’éprouve toujours la même émotion quand j’évoque les courses faites avec mes enfants (alors qu’ils étaient souvent bien jeunes) au Mont-Blanc, à la Meije, au Cervin, aux Grandes-Jorasses ou à l’Aconcagua., ou avec mon ami guide Jean-Louis Mercadié, de l’Eiger au Cho Oyu, en passant par prés de 60 sommets de plus de 4000m, certaines fois dans des conditions qui auraient pu finir tragiquement…
Peut-on, in fine, parler de dimension spirituelle liée à l’élévation en montagne?
Le pasteur et guide de haute montagne Paul Keller aimait dire qu’on ne pouvait « localiser » Dieu, même si les références bibliques les plus marquantes (Moïse sur le Mont Sinaï ou Jésus avec son sermon sur la montagne) pourraient le laisser croire.
Quant à moi, je parlerai volontiers d’engagement des forces de l’esprit (selon la belle formule de François Mitterrand au soir de sa vie), laissant entendre que cet engagement entre la vie et la mort, entre la passion et la raison, dépend aussi de nous.
Et au fond, plus qu’un sport, plus qu’une contemplation, plus même qu’une passion, la montagne permet de changer sa vision du monde, en tirant vers le haut les valeurs d’engagement et de solidarité, dans un monde où le renoncement et l’égoïsme restent très présents.
Et ainsi de suivre la superbe exhortation de Jean Cocteau à « passer d’un regard qui dévisage à un regard qui envisage ».