L’Auditorium du Musée de peinture de Grenoble était trop petit ce dimanche soir à à l’occasion de la remise du Prix Louis Blum du CRIF Grenoble-Isère, à Latifa IBN ZIATEN, présidente Fondatrice de l’Association IMAD pour la jeunesse et la paix et Eva SANDLER, fondatrice d’un Kollel (centre d’études) à Jérusalem à la mémoire des victimes de l’Ecole Ozar Hatorah de Toulouse. Ce prix a pour vocation de rendre hommage à une personnalité œuvrant pour la défense des Droits de l’Homme et lutte contre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme. A l’issue de cette cérémonie, je leur ai remis la grande médaille d’or de la Ville de Grenoble.
Je vous invite à prendre connaissance du discours que j’ai prononcé lors de cette réception très émouvante.
Mesdames et Messieurs les Elus
Madame la Présidente du CRIF Grenoble-Isère
Mesdames les récipiendaires du prix Louis Blum
Mesdames et Messieurs les présidents d’associations
Mesdames et Messieurs, chers amis,
L’énigme du mal renvoie les hommes à une impuissance irréductible : le mal ne peut être ni expliqué, ni compris, ni excusé, ni justifié.
Cela ne veut pas dire que la question n’est pas pensée. Cela ne veut pas dire que l’humanité ne cherche pas à en percer les mystères. A l’évidence, elle le fait. Elle le fait même avec persévérance, à la recherche obstinée de son salut – ou plus simplement de son bonheur.
Toutes les sociétés ont produit des récits sur le sujet… Elles ont fabriqué des mythes qui témoignent de leur soif de donner du sens à la condition humaine dans ce qu’elle a d’immensément fragile, incertain et inabouti. Des mythes qui témoignent aussi que, si le mal échappe à sa raison, l’humanité n’a jamais renoncé à s’en affranchir.
Frappées l’une et l’autre par une adversité terrible, vous avez choisi toutes deux de montrer que le mal n’est en tout cas pas hors de portée de « l’agir ».
Le prix Louis Blum, remis chaque année par le CRIF en partenariat avec la Ville de Grenoble, est attribué à des personnalités choisies pour leur contribution à la cause des droits de l’homme et à la paix, pour leur hauteur de vue morale, pour leur courage, leur ténacité et pour l’exemple qu’ils nous montrent.
Dans votre cas, à l’une et à l’autre, j’ajouterais des personnalités qui sont, pour nous, porteuses d’espérance.
Edwige El Kaïm a évoqué les combats que vous menez. Ce sont des combats différents et complémentaires. Des combats qui, l’un comme l’autre, nous invitent à vous suivre sur le chemin de l’espérance malgré l’excès du mal, malgré ce qu’il a provoqué d’irréversible, d’irréparable dans vos vies. Je ne parle pas d’une espérance qui traduirait un désir déraisonnable de changement par rapport à la réalité de la condition humaine. D’une espérance mal placée, qui duperait, égarerait, entretiendrait de l’insatisfaction ou de l’amertume.
Vous, Madame Ibn Ziaten, vous allez à la rencontre d’une jeunesse désabusée, malheureuse, haineuse parfois, qui souffre de se sentir dédaignée par la République. Qui désespère de n’être « rien », qui estime ne pas avoir sa place dans une société fracturée qui se détourne d’elle. Vous nous mettez en garde contre la gangrène qui mine ces quartiers que certains pensent perdus et vous nous exhortez à la reconquête de ces territoires, de ces âmes délaissés. « L’autre côté » dites-vous, c’est celui de ceux qui « parce qu’ils sont mal aimés, mal encadrés », risquent de « mal tourner ».
Vous, Madame Sandler, vous vous employez à mobiliser les moyens de faire vivre le kollel que vous avez ouvert à Jérusalem au nom de votre famille. Parce que votre époux aimait transmettre le judaïsme et qu’il pensait que c’était égoïste de garder cette richesse sans la partager. Parce qu’il pensait que la transformation – cette aspiration si profonde de l’homme confronté à la petitesse de ses instincts – passe par l’apprentissage et l’étude. Parce que, pour vous comme pour lui, l’étude de la Torah permet aux hommes d’être meilleurs en éclairant les zones obscures de notre monde et de nos existences.
En préparant ce message, en pensant à l’épreuve que vous traversez et à la façon dont vous avez choisi d’y faire face, c’est un texte écrit par Charles Péguy qui s’est imposé à ma mémoire. Vous connaissez peut-être ce texte qui évoque ce que le christianisme appelle les trois vertus théologales… trois vertus qui sont en réalité au cœur des trois traditions abrahamiques – et qui sont la foi, l’espérance et la charité. J’ai choisi de vous lire quelques extraits de ce poème qui s’intitule « Le Porche du mystère de la deuxième vertu ».
« Mes trois vertus, dit Dieu, sont de la race des hommes. La Foi est une épouse fidèle.?La Charité est une mère. L’Espérance est une petite fille de rien du tout. C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.?Cette petite fille de rien du tout, elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus. La foi va de soi. La foi est toute naturelle, toute allante, toute simple, toute venante. La charité va malheureusement de soi. Pour aimer son prochain, il? n’y a qu’à se laisser aller, il n’y a qu’à regarder?tant de détresse. C’est le premier mouvement du cœur.
Mais l’espérance ne va pas de soi. L’espérance ne?va pas toute seule. Pour espérer, il faut avoir obtenu reçu une grande grâce. Le facile est de désespérer et c’est la grande tentation. La petite espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs et on ne prend pas seulement garde à elle.?Sur le chemin charnel, sur la route, entre ses deux sœurs, la?petite espérance?s’avance.?Perdue entre les jupes de ses sœurs.?On croit volontiers que ce sont les deux grandes qui traînent la petite par la main.?Au milieu.?Entre les deux.?Pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut.?Les aveugles ne voient pas qu’au contraire, c’est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs. Et que sans elle, elles ne seraient rien.?C’est elle, cette petite, qui entraîne tout. Car la Foi ne voit que ce qui est.?Et elle, elle voit ce qui sera. La Charité n’aime que ce qui est.?Et elle, elle aime ce qui sera ».
Au nom de la force de cette espérance dont vous témoignez pour l’humanité avec une fermeté et une vaillance admirables, je suis très honoré de vous remettre la grande médaille d’argent de la ville de Grenoble.