C’est avec joie que j’ai remis la médaille de la Ville aux frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, cinéastes belges, à l’occasion de leur venue à Grenoble dans le cadre de leur parrainage du cinéma « Le Club », ce vendredi soir à l’Hôtel de ville.
Je vous invite à prendre connaissance du discours que j’ai prononcé à cette occasion.
Dans les bonnes pages des chroniques culturelles, notre ville brille à travers ses grandes expositions, au Magasin, Centre national d’art contemporain, au Musée de Grenoble qui possède l’une des plus riches collections de France, accueille actuellement une très belle exposition consacrée à Sigmar POLKE, après avoir accueilli plus de 100 000 visiteurs autour de Giacometti l’an dernier.
Grenoble rayonne sur le plan musical grâce à Marc MINKOWSKI et à son orchestre des Musiciens du Louvre, grâce aux chorégraphies de Jean-Claude GALLOTTA, tous deux « pensionnaires » de la MC2 digne héritière de la grande Maison de la culture qui fit les grandes heures de la décentralisation culturelle chère à André MALRAUX.
Mais je veux le dire avec force, Grenoble, ville ouverte sur le monde, est AUSSI une ville de cinéma. Un cinéma d’excellence, d’innovation et d’engagement, qui lui ressemble, qui vous ressemble cher Luc, cher Jean-Pierre.
Dans les années 60 / 70, la nouvelle vague est naturellement entrée en résonance avec cette ville où on se plaît à expérimenter, à résister, à faire tomber les barrières.
C’est à l’époque le Truffaut de « Tirez pas sur le pianiste » (qui reviendra 20 ans plus tard tourner « La femme d’à côté »). C’est Jean-Luc GODARD et Anne-Marie MIEVILLE qui s’y installent au milieu des années 70 en grande complicité avec Jean-Pierre BEAUVIALA, le fondateur d’AATON, dont les équipes d’ingénieurs vont révolutionner le travail des cinéastes, en inventant des caméras plus légères, en anticipant l’avènement de la vidéo puis du numérique, avec des caméras qui ont accompagné les plus grands cinéastes aux quatre coins du monde, dans des conditions de travail les plus extrêmes, mais aussi au plus près de la vie.
C’est le Grenoble terre d’innovation.
La ville a mis le cinéma entre parenthèses entre le milieu des années 80 et le milieu des années 90. Et puis les cinéastes sont revenus, grâce notamment au formidable travail de coproduction réalisé par Rhône-Alpes Cinéma.
Depuis le début des années 2000, je citerais volontiers Laurent CANTET (« L’emploi du temps »), la trilogie de Lucas BELVAUX (« Un couple épatant » « Cavale » « Après la vie »), Arnaud DESPLECHIN (« Rois et reine ») et plus récemment « Jimmy Rivière », une belle aventure humaine dans la communauté des gens du voyage mise en scène par Teddy Lussi MODESTE, un jeune réalisateur grenoblois amoureux de sa ville qui à l’époque avait pris ses bobines sous le bras pour aller présenter son film à Cannes.
Je me souviens d’ailleurs combien nous avions dû au moment du tournage batailler à ses côtés quand beaucoup de portes se fermaient à lui, à son plateau, à ses caravanes…
C’était l’été 2009, un an avant un discours de Grenoble de triste mémoire…
Je pourrais vous parler, des heures encore, du formidable travail de diffusion réalisé par les bibliothèques municipales, près de 1000 films disponibles en streaming et un centre de consultation des collections de l’INA que nous nous apprêtons à expérimenter, vous parler des Rencontres que nous organisons chaque année autour du cinéma de montagne avec plus de 20 000 spectateurs, vous parler du Festival du court métrage en plein air porté par la Cinémathèque de Grenoble qui célèbrera son 37e anniversaire en 2014 et d’un foisonnement de festivals portés par le tissu associatif grenoblois et notamment du Festival « Vues d’en face » du film gay et lesbien, que nous soutenons et dont Le Club accueillera prochainement la 14e édition.
Grenoble est une terre d’engagement.
Le cinéma est une terre d’engagement.
C’est pourquoi nous sommes particulièrement fiers de vous recevoir ce soir. Parce que notre histoire du cinéma ressemble à la vôtre.
Parce que votre cinéma, celui de « La Promesse », de « Rosetta », du « Fils », comme les caméras de Jean-Pierre BEAUVIALAT, a marqué une rupture, a révélé une nouvelle écriture cinématographique, montrant la vie d’un peu plus près, sur la nuque d’Olivier GOURMET ou le visage d’Emilie DEQUENNE.
Nous sommes fiers de vous accueillir ce soir parce que votre engagement nous est cher, votre chemin vers l’autre, dans vos documentaires sur la résistance face aux nazis en Wallonie, comme dans votre regard sur ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, ceux qui ont un statut social et ceux qui n’en ont pas, les pères perdus et les enfants retrouvés…
Ce qui caractérise votre cinéma, c’est l’intensité. Où le moindre geste paraît être affaire de vie ou de mort pour vos personnages. Mais où la vie a le dernier mot. D’aucuns vous rangent dans la case du « cinéma social », je dirais plus simplement le « cinéma de la vie ».
Clin d’œil de l’histoire, la sonde européenne, chasseuse de comètes, suivie de très près par la communauté scientifique grenobloise, qui vient de sortir de son sommeil cette semaine pour s’en aller percer les secrets de l’origine de la vie, a pour nom « Rosetta ». Sans doute en hommage à une fameuse palme d’Or cannoise pleine de vie signée par deux frères cinéastes de grand talent… mais aussi un peu sans doute au travail d’un certain Champollion sur sa pierre de Rosette ! Ce qui nous ramène une fois encore à Grenoble !
Bref, nous étions faits pour nous rencontrer. Et je tiens naturellement à remercier toute l’équipe du CLUB, et plus particulièrement Pierre et Arnaud De GARDEBOSC, Martin BIDOU et Patrick ORTEGA, de vous avoir mené jusqu’à nous en vous invitant à devenir les parrains de leur cinéma.
Je sais la force de leur engagement au service du 7e art, depuis longtemps.
Je salue la foi qui est la leur, dans un contexte parfois difficile, devant l’importance des travaux de rénovation qu’ils ont entrepris, en termes d’embellissement côté façade, de confort pour les spectateurs, mais aussi de mise en accessibilité de leur équipement.
Avec Le Méliès, avec la Nef, avec le multiplexe Chavant pour lequel il nous a fallu batailler face à 40 000 pétitionnaires (!), Le Club assure à Grenoble, en cœur de ville, une offre cinématographique à la hauteur des plus grandes métropoles françaises, à la hauteur des attentes de nos 60 000 étudiants et des 50 communautés que nous accueillons, venues des 4 coins de la planète, dont la communauté anglo-saxonne bien entendu, la première de France.
Et je sais la place très particulière que tient le Club dans le cœur des cinéphiles grenoblois aujourd’hui.
Ce soir, nous aurions pu parler de Palmes d’Or, de « cinéma social européen », j’ai préféré parler d’ouverture sur l’autre, sur le monde. Parce que certains films asiatiques d’aujourd’hui sont un peu les enfants de « Rosetta ». Parce qu’à l’image de ce que TRUFFAUT disait de ROSSELLINI, Luc, Jean-Pierre, c’est la vie, c’est l’homme que vous préférez, plus que tout.
S’intéresser à l’homme, s’intéresser aux autres, simplement, honnêtement, n’est-ce pas le sens le plus noble que nous pouvons donner à notre engagement de citoyen, d’élu et de cinéaste.
Luc, Jean-Pierre, MERCI pour votre cinéma !