C’est avec un très grand plaisir que j’ai remis hier soir la Médaille de la Ville de Grenoble à Michel Rostaing en sa qualité d’écrivain.
C’est également avec un grand plaisir que j’ai relu ses livres pour préparer ce moment. D’abord, j’ai éprouvé un sentiment de confortable évidence en réalisant une nouvelle fois à quel point nous avions de passions communes. La passion pour les voyages. La passion des sommets – à vélo pour lui et à pied pour moi. La passion pour le métier d’ingénieur évidemment, aussi.
Physiciens tous les deux, nous avons lui et moi exercé notre métier avec un intérêt inlassable – un métier où il faut jouer avec les contraintes, ruser avec les éléments, composer avec les lois de la matière, avec la pesanteur du réel… Dans un de ses ouvrages, Michel a évoqué sa spécialisation dans l’eau lourde et l’hydrogène après ses études à l’école d’Electrochimie de Grenoble, ses premières années d’exercice et les 35 ans de sa carrière professionnelle au CEA. Il y brosse un tableau tout à fait éclairant des années 1950-1980 et de cette entreprise où j’ai eu le plaisir de travailler également. On me dit que 12 ans après le début de sa retraite, le CEA lui a demandé d’expertiser une photo satellite d’un coin de l’Orient mystérieux où commençait à pousser une usine d’eau lourde… Cela en dit long sur la reconnaissance dont il jouissait dans sa spécialité. C’est un trait que je veux souligner parce qu’il me paraît remarquable chez lui : la rencontre en profondeur d’un homme et de son métier – et ce qu’elle peut produire de plus créatif.
Mais c’est finalement sur la question de l’écriture que l’évidence s’est effacée, pour laisser la place à quelque chose de l’ordre de l’admiration.
Si j’aime écrire, je n’ai pas consigné comme lui dès ma jeunesse la chronique de mon quotidien mêlée à celle des grands événements de l’histoire. Cette matière vive ajoutée à une mémoire remarquablement sensible donne aux écrits de Michel une précision, une saveur et un pouvoir d’évocation très particuliers. Et enviables, donc, de mon point de vue.
On est ici très loin de l’amertume de l’écrivain Red Smith qui disait : « « Ecrire, c’est simple : ouvrez vos veines, et saignez. »
Michel est plutôt de ces personnes qui écrivent comme elles respirent. Son phrasé est naturel, rythmé, fluide. Son écriture est pleine d’une jubilation communicative et animée d’une curiosité que l’on sent inlassable. Petites et grandes choses mêlées, c’est toujours juste, souvent léger et drôle – mais rigoureux, sans facilité ni complaisance.
Mais au-delà du simple plaisir qu’il y a à le lire, je dois dire que c’est l’homme qui suscite l’attachement. Un homme pétri de valeurs, amoureux de la vie dans ce qu’elle a de plus essentiel. Un homme accompli, en somme.