J’ai assisté au vernissage de l’exposition collective internationale « FEMMES » à l’ancien Musée de Peinture, ce jeudi 7 mars, veille de la journée internationale des Droits des Femmes. A l’initiative de Rossella Genovese, peintre italienne vivant à Grenoble, 17 artistes français, américains et italiens (sculpteurs, peintres, photographes, musiciens…), se sont interrogés sur la représentation de la femme et de la féminité. 17 propositions qui interrogent sur l’identité féminine, racontent, disent et montrent quelque chose de la féminité, d’une existence de femme.
Je vous invite à lire le discours que j’ai prononcé à cette occasion.
Mesdames et messieurs les Elus,
Mesdames et messieurs les artistes,
Mesdames et Messieurs,
Nous célébrons ce soir avec quelques heures d’avance la journée internationale de la femme. Cet événement est toujours l’occasion de dresser le bilan de la situation en matière de droits des femmes, ou plutôt devrions-nous dire d’égalité entre les sexes, et de nous promettre de faire mieux à l’avenir.
Mieux, nous le pouvons encore assurément en France. Faut-il rappeler quelques statistiques accablantes pour prendre conscience de tout ce qu’il nous faut encore entreprendre pour le droit des femmes ? Tous les 3 jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint dans notre pays. 200 femmes sont violées chaque jour. 550000 subissent tous les ans des violences conjugales. Au-delà de ces cas dramatiques, la plupart des femmes doivent faire face aux contraintes de la double journée. Elle subissent pour beaucoup le temps partiel, qui les condamne à la précarité dans le cas des familles monoparentales et réduit le montant de leur pension de retraite dans tous les cas. La disparité salariale se maintient et dans des proportions considérables, de l’ordre de 25 % pour un même poste, du moins bien sûr jusqu’au plafond de verre au-dessus duquel on ne trouve plus beaucoup de femmes. La France se situe aujourd’hui au 46 ème rang dans le monde pour l’égalité entre les sexes, c’est-à-dire très en dessous de ce qu’on est en droit d’attendre du pays incarnant les droits de l’Homme depuis 200 ans.
Voilà autant de réalités que nous n’avons pas le droit de taire. Autant de réalités que nous devons dénoncer afin de pouvoir les corriger. Je suis de ceux qui pensent que le sort réservé aux femmes est révélateur de l’état d’une société et du monde. L’égalité entre les êtres humains conditionne la liberté de tous. Nous ne pouvons pas prétendre être libres dans une société opprimant la moitié de ses membres. C’est pourquoi on n’est pas républicains lorsqu’on n’est pas féministes. C’est pourquoi la journée internationale des femmes ne concerne pas que les femmes.
Nous en sommes très conscients à Grenoble, une ville ouverte sur la modernité qui a vu ces dernières années de nombreuses femmes accéder à des postes de responsabilité dans le secteur public, l’université, les entreprises. A la Ville de Grenoble elle-même, qui compte une majorité de femmes parmi ses agents et sans discrimination salariale bien entendu, les femmes sont aussi nombreuses que les hommes dans le conseil municipal – la loi nous l’impose mais nous l’aurions de toute façon réalisé dans les rangs de la majorité municipale même sans cette contrainte. Les femmes sont évidemment présentes dans les postes à responsabilité, y compris dans au sein de la direction générale. L’adjoint aux ressources humaines n’en aurait pas voulu autrement puisqu’il s’agit d’une adjointe, mon amie Marie-José SALAT. Beaucoup reste encore à faire. Mais du moins l’impulsion est-elle donnée.
Sur le plan national, de nombreuses réformes ont heureusement déjà été conduites. Si l’on s’en tient à la législation, nous sommes enfin parvenus à une égalité réelle, même si le chemin fut long. On a peine à croire aujourd’hui qu’il fallut attendre 1965 pour qu’une femme puisse ouvrir un compte en banque et exercer une profession sans l’autorisation de son mari, 1970 pour que la mère devienne l’égale du père en matière d’autorité parentale, 1983 pour que la loi ROUDY interdise toute discrimination professionnelle contre les femmes, 1999 enfin pour que la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux. Et il aura fallu patienter jusqu’au printemps 2012 pour avoir enfin un gouvernement paritaire dans notre pays.
Mais nous avons tout de même obtenu tout cela. Le plus encourageant est sans doute que la fin du patriarcat s’inscrive dans une tendance lourde que relève le sociologue Gérard MERMET lorsqu’il écrit que « Globalement on peut penser que la société est en train de changer de sexe : elle s’imprègne de plus en plus de valeurs féminines comme l’écologie, le bien-être, l’harmonie, l’empathie. Ce sont elles qui vont faire évoluer la société ». Je crois qu’il est bon d’avoir à l’esprit cette évolution réelle et positive en même temps que nous dénonçons les manques qui subsistent en matière d’égalité entre les sexes. Cette prise de conscience renforce en effet notre volonté d’agir tant nous nous sentons poussés par ce qu’il faut bien appeler le sens de l’histoire. Toute cette histoire, celle du genre humain, est le récit d’un combat contre les formes d’aliénation qui ont prévalu depuis la fondation des premières civilisations. Il n’est pas anodin d’observer que le patriarcat a émergé, à l’aube de la sédentarisation, en même temps que les inégalités, la guerre et l’esclavage. La promotion des valeurs pacifiques et démocratiques de l’Europe ne peut donc qu’aller de paire avec la liquidation de toute forme de domination masculine.
Telle n’est pourtant pas le cas dans tous les pays du monde. La journée internationale des femmes nous invite à porter nos regards au-delà de notre continent. Dans de trop nombreux pays encore les infanticides sur les filles, les mariages forcés, les crimes d’honneur, les trafics d’être humain à des fins de prostitution sont le lot commun de millions de femmes. Elles sont des mineures n’ayant même pas le droit de conduire en Arabie Saoudite. Elles ne peuvent étudier en Afghanistan dans les zones tenues par les talibans. Elles sont victimes de viols en Afrique à l’occasion des conflits. Nous ne pouvons nous féliciter de ce qui a déjà été accompli en France sans avoir une pensée pour tous ces êtres humains que l’on ne traite pas en tant que tels et pour toutes les femmes se battant pour leur libération. C’est pourquoi je voudrais dédier à Grenoble la journée internationale des femmes à Malala YOUSAFZAI, qui lutte pour les droits des femmes au Pakistan, au risque de sa vie et malgré son jeune âge, Asmaa AL GHOUL, qui lutte pour les droits des femmes à Gaza, les membres de l’association des Mères de JUAREZ au Mexique, qui se battent contre les meurtres des femmes, Esther MADUDU, sage-femme ougandaise proposée pour le prix Nobel pour sa lutte contre la mortalité des parturientes.
Ce souci de l’international, si évident à Grenoble compte tenu de notre identité et de notre vocation, se retrouve dans l’exposition que nous inaugurons ce soir pour célébrer la journée des femmes dans notre ville. 17 artistes français, italiens et américains sont associés ici pour traiter de la condition des femmes. Cette diversité se retrouve aussi dans leur mixité – et je crois là encore très important que des hommes contribuent à cette exposition. Ces sculpteurs, ces peintres, ces photographes, ces vidéastes et plasticiens nous présentent des œuvres qui nous interrogent sur l’identité féminine et sur les relations hommes-femmes. Je ne prétendrais pas ici épuiser un sujet si brillamment traité par Simone de BEAUVOIR qui fut elle-même si brillamment contestée par d’autres femmes. Je me contenterais de me féliciter du moins de le voir ici abordé avec intelligence et talent, parfois même avec la volonté d’être iconoclaste. On m’a en effet prévenu que certaines œuvres pouvaient troubler certaines sensibilités. Je m’en réjouis. C’est la signature de l’art. L’art n’a pas pour vocation de nous conforter dans nos sempiternelles certitudes et nos pensées étroites. Il n’est au contraire légitime que lorsqu’il nous bouscule et nous dérange afin de nous donner à voir ses propres visions du monde, qui enrichiront celle que nous nous en faisons. Le scandale ne réside pas dans l’œuvre d’art : il se trouve dans la réalité qu’il dénonce. Cette confrontation de tous les regards nous montre ainsi la complexité du réel. La cause des femmes mérite ce refus des tabous. Au sortir de tant de siècles où les préjugés les ont enfermées dans un rôle d’enfants mineurs, il faut de l’anticonformiste pour remettre le monde à l’endroit. Nous ne nous en offusquerons pas au pays d’Olympe de GOUGES. Encore moins dans la ville de la journée des Tuiles.
Je souhaite plein succès à cette exposition en souhaitant qu’elle fasse avancer dans les esprits la cause du droits des femmes.
Vive l’égalité entre tous les êtres humains !