Beaucoup d’émotion à l’occasion de la remise des insignes de chevalier dans l’ordre national du Mérite à Edwige Elkaïm, président du Crif Grenoble-Dauphiné, des mains de Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du Gouvernement et ministre des Droits des femmes, hier soir au musée de Grenoble. La ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Geneviève Fioraso et de nombreuses personnalités, notamment Mme Ibn Ziaten, maman du militaire français tué à Toulouse par Mohamed Merah, avaient tenu à honorer de leur présence mon amie Edwige qui a mené de tant de combats contre le racisme et l’antisémitisme.
Je vous invite à prendre connaissance du discours que j’ai prononcé lors de cette émouvante cérémonie.
Maire de Grenoble, dans ce très beau Musée qui nous accueille une fois de plus, il me revient le privilège de dire quelques mots plus personnels à l’intention d’Edwige Elkaïm.
Je le fais avec beaucoup de plaisir et d’émotion – et elle le sait.
Ce que je vais dire maintenant aurait pu l’être par toutes celles et tous ceux qui sont présents ce soir.
Permettez-moi d’aller droit au but… Edwige est une femme merveilleuse !
D’abord, parce qu’elle entraîne l’admiration.
L’admiration pour un parcours remarquable sur le plan personnel, intellectuel, spirituel, professionnel, militant : cela va bientôt être rappelé.
Avec constance, elle a inscrit ses engagements et ses combats dans un idéal profondément humaniste. Infatigablement, elle a lutté, en historienne et en citoyenne éclairée, contre les exclusions, contre le racisme, contre l’antisémitisme. Pour la liberté, la justice et la paix. Elle a témoigné en particulier son attachement à la communauté juive, à la cause des femmes, à l’identité multiculturelle de Grenoble.
Ensemble, nous avons accompagné régulièrement des jeunes et des moins jeunes à Auschwitz pour éveiller ou réveiller leur mémoire – et alerter leurs consciences. Nous avons milité pour que les actions des Justes soient honorées à la mesure de leurs mérites. Pour « valoriser le Bien plutôt que de toujours montrer les bourreaux » – pour reprendre une expression qui lui est chère. Averti l’un et l’autre des fragilités du vivre-ensemble, nous nous sommes employés à être à la fois sur les fronts du passé, du présent et de l’avenir pour barrer la route aux manipulateurs, aux désinformateurs, aux semeurs de haine…
Chère Edwige, vous avez succédé à deux personnalités remarquables (deux amis) à la présidence du CRIF Isère – Georges Lachcar et Jean-Luc Médina – montrant à quel point vous étiez à la hauteur de la confiance qui vous avait été faite. Les dîners organisés chaque année par le Conseil sont toujours des rencontres très fortes, comme le sont les cérémonies de remise du Prix Louis Blum.
Et nous nous sommes toujours retrouvés en pleine compréhension et en pleine solidarité dans les moments difficiles – ou dramatiques (je pense bien sûr aux assassinats de Toulouse et de Montauban).
Parler d’Edwige, c’est aussi parler de courage, face à une adversité qui ne l’a pas épargnée. De fermeté – dans les valeurs de référence, dans les choix de vie, dans les convictions, dans les combats menés. De clairvoyance, de dynamisme, de générosité, de fidélité.
On aura raison et c’est pour tout cela qu’on l’admire.
Mais Edwige, c’est plus encore. C’est aussi une femme qui suscite l’amitié.
Nous sommes ici sur le terrain de la sensibilité, si vive chez elle. Sur le terrain des liens, qu’elle sait si admirablement tisser. Sur le terrain de la fraternité qui lui est si cher.
Une fraternité qui a rang de vertu quand elle se garde de l’exclusivité, quand elle fait la place à la différence, quand elle comprend le désaccord comme une invitation au partage, quand elle donne goût à la pluralité du monde. Une fraternité qui a partie liée avec la pensée, son élévation et sa transmission.
Au fond, il me semble que c’est en amie de ce monde à la beauté tellement fragile qu’elle a mis tant de ses forces dans la transmission tout au long de sa vie.
C’est sans doute cette inclination pour et vers l’autre qui l’a poussée à enseigner dans des quartiers réputés « difficiles » – et qui sont surtout des quartiers qui souffrent. Qui l’a poussée à « choisir le militantisme plus que la synagogue » comme elle le dit, à créer sans cesse des passerelles, de nouvelles occasions de rencontres, de connaissances, de reconnaissance…
Sur cette question de la transmission, elle a écrit de très belles lignes dans un ouvrage écrit à plusieurs mains et que beaucoup d’entre vous ont certainement lu. Il est intitulé « Transmettre le judaïsme ». Elle y évoque sa petite enfance heureuse à Oran, puis la mort prématurée de son père qui l’a plongée dans une grande détresse et amenée à une recherche de mémoire potentiellement réparatrice – personnelle et collective.
Elle conclut son témoignage par ces mots : « J’ai transmis à mes enfants, mais ils ont été plus loin sur le chemin de la connaissance du judaïsme, ce qui fait qu’en retour j’ai beaucoup reçu de leur part ».
Edwige est une amie que « le judaïsme rend heureuse et à qui il procure la paix » (je la cite encore). C’est une amie délicieuse, bienveillante, entraînante et joyeuse. Une de ces amies très rares qui partagent plus généreusement le bonheur que le malheur ou le chagrin. C’est dire si son amitié est précieuse…
Puis-je ici évoquer l’intense émotion qui nous a envahis le 25 décembre dernier, à plusieurs milliers de kilomètres l’un de l’autre pour un échange de SMS et de MMS que j’avais initié du Mur des Lamentations à Jérusalem…
J’ai dit l’admiration et l’amitié que je porte à Edwige.
Je crois que je peux me permettre, parce qu’aujourd’hui est un jour d’exception, de terminer ce propos en ajoutant qu’elle est aussi, pour Marie ma femme et pour moi, un sujet de tendresse – comme pour beaucoup.
Pour sa famille bien sûr, et ce ne sont pas ses enfants, petits-enfants et tous ceux qui l’entourent et qu’elle aime tant qui me démentiront.
Au-delà de ce premier cercle, je parle de toutes celles et tous ceux qu’elle aura entraînés dans son sillage de combattante. Elle dit souvent : « Vouloir, c’est pouvoir ». Ces quelques mots peuvent être dits (et compris) de bien des façons. Venant d’elle, pas d’ambiguïté : il s’agit d’une exhortation ! Il s’agit de suivre Lévinas quand il dit que « l’humanité de la conscience n’est pas du tout dans ses pouvoirs mais dans sa responsabilité ». Il s’agit de « faire grandir l’humanité qui est en nous » – pour reprendre cette fois des mots qu’Edwige répète souvent.
Elle a mis tant de passion, tant d’ardeur, tant de sincérité, tant de constance dans les batailles qu’elle a menées… Et elle en a remporté tant, que nous devrions être impressionnés – et presque distancés.
Mais en réalité, la reconnaissance que nous lui témoignons ce soir est d’un autre registre. Elle est plutôt de l’ordre de la tendresse, comme je l’ai dit.
Une tendresse faite d’affection, de considération et de profonde gratitude pour quelqu’un qui refuse avec opiniâtreté la facilité, la médiocrité et les concessions. Quelqu’un qui ne renonce jamais, même dans les moments de grande vulnérabilité, à nous rappeler ce que nous pouvons, ce que nous devons, être les uns pour les autres en tant qu’êtres humains.
Et qui le fait avec une autorité et une bonté aussi irréductibles l’une que l’autre.