Par un raccourci dont l’histoire a le secret, nous allons dans les prochains jours vivre un résumé du siècle passé
Nous commémorons aujourd’hui la remise de la Croix de la Libération à la Ville de Grenoble.
Lundi prochain, le Président de la République sera à Berlin pour le 20ème anniversaire de la chute du mur.
Deux jours plus tard ce sera la Chancelière allemande qui sera à Paris pour le 91ème anniversaire de l’armistice de 1918.
Trois dates symboles du 20ème siècle. Symbole des drames qui l’ont traversé. Symbole aussi des espoirs qu’il a su faire naître !
Trois dates qui réunissent à jamais les peuples français et allemand.
Trois dates qui comptent évidemment dans l’histoire de notre ville.
C’est en effet à la manifestation patriotique du 11 novembre 1943, qui vit la population grenobloise affirmer son refus de l’occupation, sa croyance dans la victoire et une volonté farouche d’y prendre part que Grenoble doit d’avoir été faite Ville Compagnon de la Libération.
Lorsque, le 5 novembre 1944, le Général de Gaulle remet à mon prédécesseur Frédéric Lafleur la Croix de Compagnon de la Libération, c’est à ce 11 novembre 1943 mais aussi à la destruction du polygone d’artillerie et à l’explosion de la Caserne de Bonne qu’il fait référence en évoquant ’’toutes les épreuves morales et matérielles subies par votre belle ville (…) sans jamais renoncer à l’espoir de la liberté.’’
Selon le chef de la France libre, ‘’Grenoble a consacré par des faits historiques sa volonté de libération et, dès qu’elle l’a pu, Grenoble, par ses propres moyens, s’est libérée pour se rendre à elle-même, à la France, comme la France voulait qu’elle fût, c’est-à-dire fière et lavée de l’ennemi.’’
C’est un immense honneur qui fut fait alors à notre ville. Songez que 1061 Croix seulement furent attribuées : 1038 à des personnes physiques, 18 à des unités militaires et 5 à des villes.
Mesdames, Messieurs,
La Croix de la Libération remise à Grenoble le 5 novembre 1944 récompensait quatre années de lutte de notre ville pour la Libération.
L’enthousiasme de la foule présente cours Gambetta pour accueillir le Général de Gaulle ne cachait pas la gravité et l’émotion, témoins de la conscience des sacrifices consentis pendant la lutte contre l’Allemagne nazie.
Oui, Grenoble a payé un lourd tribut à la lutte pour la liberté ! 840 fusillés, plus de 2000 hommes tués au combat. Autant de disparus. 500 déportés qui ne sont pas revenus. Autant de rescapés des camps de la mort qui devaient porter les stigmates de cette épreuve. Et 1000 déportés juifs, dont 900 victimes de la Shoah.
Sans doute Grenoble a-t-elle aussi été traversée, comme toutes les villes, par les clivages de l’occupation. Sans doute a-t-elle aussi appliquée, elle aussi, la législation scélérate de Vichy.
Mais Grenoble a trouvé dans son amour de la liberté, dans la dignité de sa population les moyens de lutter contre l’oppression.
N’oublions jamais ce combat engagé dès l’été 1940 par des parlementaires isérois, alors emmené par l’ancien maire Léon Martin, et qui refusèrent les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.
N’oublions jamais le doyen Gosse qui donna très tôt le signal de la résistance morale au pétainisme.
N’oublions jamais l’Armée des Alpes, seule armée invaincue qui vainquit la 4ème armée italienne dont les hommes étaient pourtant deux fois plus nombreux.
N’oublions jamais ces Alpins qui cachèrent des armes pour préparer la résistance et la reprise des combats.
N’oublions jamais toutes les volontés individuelles qui convergèrent dans les différents mouvements de résistance.
N’oublions jamais que c’est à Grenoble que furent créé le mouvement Combat ou la première antenne du Centre de Documentation Juive Contemporaine.
N’oublions jamais tous ceux, célèbres ou anonymes, qui ont montré qu’il fallait refuser le cours des choses et conserver, en toute circonstance, ses valeurs et ses idéaux.
N’oublions jamais les maquis de Chartreuse, d’Oisans, de Belledonne.
N’oublions jamais la tragédie du Vercors ou de la Saint Barthélémy grenobloise.
Les Grenoblois d’aujourd’hui doivent être fiers de ce qui a été accompli par leurs devanciers. Une fierté qui doit nous inciter à la fidélité pour que le message de la Résistance demeure. Il est en effet le message de l’espérance et de l’honneur.
Me revient alors à l’esprit ce magnifique discours d’André Malraux au plateau des Glières dont je veux vous citer un passage : « Nous sommes les torturés agonisants dont la Gestapo disait qu’il était inutile de les lui envoyer puisqu’ils étaient vides, … Les gens des villages sans lesquels le maquis n’aurait pu ni se former, ni se reformer, ceux qui ont sonné le glas pour lui, ceux que les hitlériens ont déporté, ceux qu’ils ont fait courir pour rigoler pendant la répression devant leurs mitrailleuses qui les descendirent tous. Peu importe vos noms que nul ne saura jamais, Ici nous vous appelions la France … je suis la mercière fusillée pour avoir donné asile à l’un des vôtres. Je suis la fermière dont le fils n’est pas revenu. Nous sommes les femmes qui ont toujours porté la vie même lorsqu’elles risquaient la leur. Nous sommes les vieilles qui vous indiquaient la bonne route aux croisées des chemins et la mauvaise à l’ennemi comme nous le faisons depuis des siècles. Nous ne pouvions pas faire grand-chose, mais nous en avons fait assez pour être les vieilles des camps d’extermination, celles dont on rasait les cheveux blancs. Jeanne d’Arc ou pas, Vierge Marie ou pas, moi la statue dans l’ombre au fond du monument, je suis la plus vielle des femmes qui ne sont pas revenues de Ravensbrück … Dormez sous la garde que monte autour de vous la solennité de ces montagnes, elles ne se soucient guère des hommes qui passent, mais à ceux qui vivront ici, vous aurez enseigné que toute leur solennité ne prévaut pas sur le plus humble sang versé quand il est un sang fraternel. Alors vous viendrez vers moi, et dans la nuit sans retour, Les mains suppliciées de celui d’entre vous, qui mit le plus longtemps à mourir, caresseront sur ma tête rasée la trace de mes cheveux blancs »
Ce message, depuis 1944, il appartient à l’ordre de la Libération de la faire vivre. Un ordre au sein duquel les communes compagnons de la Libération ont une responsabilité particulière.
Nantes, première ville distinguée par le Général de Gaulle pour son magnifique exemple de courage et de fidélité aux valeurs de la République,
Paris, qui se libéra elle-même quelques heures avant l’arrivée des blindés de la 2ème DB du Général Leclerc,
Vassieux, symbole et martyr de la République libre du Vercors,
L’Ile de Sein qui donna un formidable signal à la France toute entière en envoyant tous ses hommes s’engager dans les forces de la France libre.
Je salue tout particulièrement aujourd’hui la présence fidèle de mon collègue Michel Reppelin et de Monsieur Henri Duclos qui représente aujourd’hui Jean-Marc Ayrault. Je vous transmets également les excuses et les amicales pensées des Maires de Paris et de l’Ile de Sein.
Des communes qui, dans l’esprit du pacte d’amitié qu’elles ont signé en 1981, se préparent, dans le cadre du futur Conseil national des Communes Compagnons de la Libération à assumer le souvenir et la pérennité de l’Ordre de la Libération,
Grâce aux conseils éclairés du chancelier, le Professeur François Jacob, de l’ensemble des membres de l’Ordre représenté aujourd’hui par le Colonel Fred Moore et du secrétaire général de l’Ordre, le Colonel Le Bastard, que je veux ici saluer et remercier, je ne doute pas que nous saurons gérer au mieux cette transition.
Nous serons alors les dépositaires d’un héritage qui puise ses racines dans tous les combats qui, pour meurtriers qu’ils aient été, ont construit l’identité de notre pays, de Bouvines à Verdun en passant par Valmy.
Ces temps aujourd’hui lointains paraissent révolus. Les anciens ennemis des guerres fratricides sont réconciliés et l’Europe vit en paix.
Une paix construite sur les décombres de la seconde guerre mondiale. Une paix qui fut d’abord, pendant près de 45 ans, une paix par défaut avant que la chute du mur de Berlin ne symbolise l’avènement d’un nouvel équilibre politique en Europe.
Pourtant ne croyons pas vain le devoir de mémoire. Au-delà du juste hommage rendu à ceux à qui nous devons l’honneur et la liberté mais aussi la République et la démocratie, il est surtout une incitation à s’inspirer du volontarisme de la Résistance et à veiller à ce que les ferments de la haine jamais ne trouvent à nouveau à se développer.
Il est aussi une formidable occasion de rappeler la modernité du programme du Conseil National de la Résistance, ‘’Les Jours Heureux’’ que certains trouvent aujourd’hui dépassé et pour lesquels se sont battus les soldats de l’ombre qu’ils soient agents de liaisons, fabricants de faux papiers, diffuseurs de tracts, simples patriotes ou braves gens ayant hébergé résistants et juifs, FTP et FFI, héros des maquis et martyrs morts sous la torture.
C’est à eux tous que nous rendons hommage aujourd’hui. Eux dont l’engagement et le sacrifice ont valu à notre ville l’immense honneur d’être, avec 4 autres communes seulement, élevée au titre de Compagnon de la Libération.
C’est ce souvenir dont nous portons aujourd’hui témoignage auprès des générations futures.
Vive l’inspiration généreuse de la Résistance
Vive Grenoble, Nantes, Paris, Vassieux et l’Ile de Sein
Vive la République
Vive la France notre patrie et vive l’Europe, notre avenir.